Les livreurs des applications de commande de restauration protégés par le droit du travail

Publié le 07/10/2019 Vu 3 031 fois 0
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Les coursiers travaillant pour des applications ou sites internet de mise en relation entre les restaurateurs et particuliers bénéficient ils de la qualité de salariés et de la protection offerte par le droit du travail ?

Les coursiers travaillant pour des applications ou sites internet de mise en relation entre les restaurateurs

Les livreurs des applications de commande de restauration protégés par le droit du travail

Le 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de la cassation s’est prononcée, pour la première fois, sur la nature du contrat qui lie les livreurs à vélo à une plate-forme numérique de commandes culinaires type Uber Eat, Deliveroo ou Take Eat Easy (Cour de cassation, Chambre sociale, 28 novembre 2018, n°17-20.079, arrêt Take Eat Easy).

En l’espèce, la société Take Eat Easy exploitait une plate-forme web et une application numérique qui servaient à mettre en relation des restaurateurs partenaires.

Les clients passaient commande de repas sur la plate-forme qui étaient livrées par des livreurs à vélo, exerçant leur activité́ sous un statut d’indépendant.

Ainsi, à la suite de la diffusion d’une offre de collaboration, Monsieur Y a postulé auprès de cette société́, effectué les démarches nécessaires en vue de son inscription en qualité́ d’auto-entrepreneur puis conclu un contrat de prestation de services avec Take Eat Easy.

Toutes les plateforme internet de mise en relation donnant lieu à une livraison par des coursiers ou chauffeurs concluent des contrats de prestation de services pour contourner les contraintes juridiques et financières inhérentes au droit du travail français, dont la domiciliation à l’étranger de leur siège social est un des aspects.

Conscient de cette dérive, le législateur français a consacré, en 2016, le principe de responsabilité́ sociale des plate-formes numériques en matière de protection des travailleurs du numérique en cas d’accident du travail.

Toutefois, le législateur ne s’est pas préoccupé de la protection des coursiers à vélo et chauffeurs Uber notamment s’agissant de leur droit à la formation professionnelle, leur possibilité́ d’adhérer à une organisation syndicale ou liberté de manifester.

Grâce à Monsieur Y, c’est dorénavant chose faite.

En l’espèce, Monsieur Y a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de son contrat en un contrat de travail.

En effet, pour mémoire, la qualification de contrat de travail est d’ordre public et les parties ne peuvent pas y déroger librement.

Selon la cour de cassation « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté́ exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité́ des travailleurs ».

En réalité, l’existence d’un contrat de travail dépend de l’existence d’un lien de subordination.

En l’absence de définition légale du lien de subordination, la jurisprudence considère que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité́ d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

La loi dispose que l'existence d'un contrat de travail est établie lorsque des personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Le lien de subordination se manifeste différemment selon le statut, le degré́ d’autonomie, le niveau d’expertise du travailleur.

Il dépend en pratique des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité́.

Dans l’affaire Take Eat Easy, la plateforme de mise en relation numérique avait mis en place un système de bonus des livreurs en fonction du temps d’attente au restaurant ou lié au dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers.

Il existait aussi des pénalités distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles en cas notamment de désinscription tardive, de connexion partielle, d’absence de réponse à son téléphone, d’incapacité́ de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison, de circulation sans casque, de connexion en dehors de la zone de livraison ou sans inscription sur le calendrier, de conservation des coordonnées de client, de cumul de retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur, etc. ... qui pouvait conduire à la désactivation du compte et la désinscription.

Ainsi, dans un premier temps, les juges d’appel ont estimé que le livreur n’était pas lié par un contrat de travail à la société́ Take Eat Easy de sorte que le conseil de prud’hommes était incompétent pour connaitre du litige.

Pour les juges d’appel, un tel système est évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur mais ne suffisait pas à̀ caractériser le lien de subordination essentielle à l’existence d’un contrat de travail.

Selon la cour d’appel, les pénalités ne remettaient pas en cause la liberté́ du livreur de choisir ses horaires de travail ou de ne pas travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion, que cette liberté́ totale de travailler ou non, qui permettait à Monsieur Y, sans avoir à̀ en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d’inactivité́ ou de congés et leur durée, sont exclusives d’une relation salariale.

Cependant, la cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel dans toutes ses dispositions car la Haute Cour a, au contraire, estimé que, compte tenu que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la plateforme disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, ce dernier était dans une situation de subordination juridique qui caractérise une relation de travail et un contrat de travail et non d’entrepreneur individuel.

Ainsi, l’existence d’une surveillance constante du salarié, tout au long de sa prestation de travail et la mise en relation des parties en vue de la fourniture d’un service prévue par le code de la consommation relève en réalité du droit du travail, c’est à dire de toute la réglementation favorable prévue dans le code du travail.

En définitive, le coursier fournissait simplement sa force de travail et non une réelle prestation de service.

Dès lors que le rôle de la plate-forme numérique ne se limite pas à̀ la simple mise en relation, mais offre une véritable prestation de service, consistant dans la livraison de repas dans les meilleurs délais par des coursiers, ces derniers sont protégés par la loi afférente au contrat de travail.

Au travers de cette décision, la cour de cassation apporte une règle aux nouvelles technologies.

L’intérêt de cette requalification de la relation en contrat de travail concerne notamment la protection sociale des salariés, la garantie des salaires en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, et tous les avantages financiers liés à la rupture en fonction de l’ancienneté de la relation de travail.

Cette requalification en contrat de travail a déjà̀ été effectuée, le 10 janvier 2019, par la cour d’appel de Paris concernant des chauffeurs Uber.

Dorénavant, les sociétés étrangères qui exploitent en France des plateformes numériques de mise en relation faisant appel à des chauffeurs, VTC, coursiers ou livreurs en deux roues devront se conformer aux règles du droit du travail français sans pouvoir valablement y échapper ou le contourner par le biais de prétendus contrats de prestation ou d’établissement dans des paradis juridico-fiscal.

Je suis à votre disposition pour toute action ou information (en cliquant ici).

 

Anthony Bem
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