En principe, les libéralités, telles que les donations et testaments, sont présumées avoir été valablement consenties par leur auteur.
Cependant, l’article 414-2 du code civil dispose que :
« De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304. »
Ainsi, il appartient à celui qui sollicite l'annulation d'une libéralité d'établir le trouble mental de nature à permettre de conclure à l’insanité d'esprit du disposant au moment où elle a été consentie.
L'insanité d’esprit de l'auteur d’un testament peut valablement justifier que les héritiers du testateur intentent une action en contestation de cet acte après le décès du testateur.
La cour de cassation vient de fixer, par deux arrêts des 6 et 20 mars 2013, les conditions d'exercice de cette action ainsi que les modalités de calcul du délai de prescription quinquenalle de l'action.
Pour mémoire, si le rédacteur de l’acte ne fait l’objet d’aucune mesure de protection, ledit acte, notamment testamentaire, ne peut être attaqué que sur le fondement des articles 414-1 et 901 du code civil.
L'article 414-1 du code civil dispose que « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte » et l'article 901 du code civil prévoit plus spécialement que « Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ».
Nous analyserons successivement ci-après l'apport des arrêts des 6 et 20 mars 2013 :
I - Analyse de l'arrêt du 6 mars 2013 rendu par la Cour de cassation (Cass. Civ. I, 6 mars 2013, N° de pourvoi: 12-17360) :
En l'espèce, une personne est décédée laissant pour lui succéder des neveux et nièces.
Elle avait rédigé neuf testaments dont sept en faveur de Madame Y.
Deux héritiers ont introduit une action en justice sollicitant la nullité de ces testaments.
Le tribunal a ordonné avant dire droit une expertise psychiatrique dont le rapport de l'expert, judiciaire corroboré par des témoignages, établissait la dégradation de l'état mental de la défunte mais pas le fait que celle-ci ait pu se trouver dans un instant de lucidité lors de la rédaction des testaments litigieux.
En effet, le médecin traitant habituel depuis 15 ans déclarait qu'à son avis « les fonctions supérieures ne marchaient plus depuis 1 à 2 ans avant son départ de l'appartement...''et qu'il la trouvait " désorientée dans le temps, mais avec un raisonnement parfait et un langage construit ", estimant cependant que ses oublis concernant ses propres visites constituaient un élément en faveur d'une détérioration intellectuelle et émettant l'hypothèse d'une démence artériopathique ».
Le docteur psychiatre, attaché à la maison de retraite préconisait une mesure de sauvegarde de justice et de protection des biens constante type tutelle.
Le psychiatre désigné par le juge des tutelles a conclu que la défunte présentait un état de détérioration intellectuelle d'origine sénile, avec atteinte de la mémoire, de la concentration et de l'orientation, accompagnée d'un état dépressif réactionnel.
Dans ce contexte, l’état de vulnérabilité physique et morale ainsi que d'indécision était tel qu'une personnalité extérieure investie positivement, pouvait exercer sur elle une influence de nature à infléchir son libre choix.
A cet égard, la succession rapide de testaments, qui sont soit une confirmation des précédents, soit l'expression d'un changement décisionnel en faveur de nouveaux bénéficiaires, peut évoquer une difficulté d'adaptation et/ ou de jugements mais aussi une altération des capacités mnésiques (concernant la mémoire des faits récents ou plus anciens), ces troubles de mémoire pouvant représenter une entrave à mener une action cohérente, continue et pertinente.
Par conséquent, les juges de première, d'appel et de cassation ont donc prononcé la nullité des sept testaments en raison de l’insanité d’esprit du disposant et jugé que les héritiers légaux devaient recevoir la succession du défunt.
Pour conclure, lorsque le testateur se trouve à l'époque de l'établissement des testaments dans un étal variable (en fonction du moment et du contexte environnemental) d'affaiblissement de ses facultés mentales qui était susceptible d'entraver sa liberté de jugement, de critique et de raisonnement et pouvait remettre en question sa capacité d'exprimer une volonté saine, les testaments sont considérés comme nuls et non avenus.
II - Analyse de l'arrêt du 20 mars 2013 rendu par la Cour de cassation (Cass. Civ. I, 20 mars 2013, N° de pourvoi: 11-28.318) :
En l’espèce, une personne est décédée en laissant pour lui succéder ses deux filles.
Par testament authentique, la défunte avait légué la plus forte quotité disponible de sa succession à l’une de ses filles en précisant les biens qui lui étaient attribués en priorité et l'ordre dans lequel ils devaient lui revenir.
L’héritière désavantagée a assigné sa sœur en justice afin d’obtenir l'annulation du testament précitée pour cause d'insanité d'esprit de la testatrice.
Sur le fondement par l'article 1304 alinéa 1er du code civil selon lequel « dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans », les juges d’appel ont déclaré cette action en nullité irrecevable pour avoir été engagée au-delà du délai.
Or, la cour d’appel a fait commencer à courir le délai de prescription quinquennale à compter du jour de l'acte contesté.
Cependant, la cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel en jugeant que :
« l'action en nullité d'un acte à titre gratuit pour insanité d'esprit ne pouvant être introduite par les héritiers qu'à compter du décès du disposant, la prescription n'avait pu commencer à courir avant le décès du testateur ».
En effet, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Dans le cadre du règlement des successions, ce n'est qu'à l'ouverture de la succession et donc au décès de son auteur, que l'héritier a qualité pour agir et la possibilité d'exercer une action en nullité du testament pour insanité d'esprit.
Par conséquent, la jurisprudence a décidé que :
- la sanction de l'acte accompli en état d'insanité d'esprit est une nullité relative, nullité de protection qui ne peut être demandée que par les successeurs universels légaux ou testamentaires du de cujus,
- l'action en contestation de testament est soumise à la prescription abrégée de l'article 1304 du code civil précité,
- le délai de prescription de l'action en contestation de testament court du jour du décès du testateur.
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Anthony Bem
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