Le 18 février 2021, la Cour d’appel de Paris a jugé que ni le juge des référés, ni le tribunal de commerce n’est compétent pour condamner une caution à payer une banque lorsque le cautionnement est disproportionné à ses biens et ses revenus. (Cour d'appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 2, 18 février 2021, n°20/13797)
En l’espèce, la banque Crédit Agricole a consenti à une société un prêt et demandé à l’associée de se porter caution solidaire et indivisible du remboursement envers la banque.
La société ayant cessé de rembourser les échéances, la banque a assigné en référé la caution devant le président du Tribunal de commerce de Paris.
Par ordonnance de référé, le président du Tribunal de commerce de Paris a considéré que l’obligation de la caution n’était pas sérieusement contestable et l’a condamné à payer la banque.
La caution a interjeté appel de cette ordonnance et demandé à la Cour notamment de dire n’y avoir lieu à référé et que le tribunal de commerce n’était pas compétent pour statuer sur une caution non commerçante et non domiciliée à Paris.
En effet, aux termes de l’article L.721-3 du code de commerce :
« Les tribunaux de commerce connaissent:
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ».
En l’espèce, la compétence du tribunal de commerce suppose donc la caractérisation d’un acte de commerce.
Or, un cautionnement est un acte civil, à moins que la caution, qu’elle ait ou non la qualité de commerçant, ait un intérêt patrimonial au paiement de la dette garantie.
Au cas présent, cet intérêt patrimonial de la caution ne ressortait d’aucun des éléments du dossier.
Les juges d’appel ont relevé au contraire que la caution était seulement associée à 50% de la société emprunteuse, dont le montant du capital social était modeste et dans laquelle la caution n’exerçait aucune fonction de direction, ni même aucune fonction.
La cour d’appel a ainsi jugé que :
« Le tribunal de commerce n’était donc pas compétent pour connaître de cette demande, qui relevait du tribunal judiciaire de Melun et aucune clause d’attribution de compétence ne pouvait lui être opposée, puisque Mme X n’est pas commerçante ».
En outre, la Cour d’appel de Paris étant la juridiction d’appel tant du Tribunal de commerce de Paris que du Tribunal judiciaire de Melun, elle a cru devoir poursuivre plus avant son analyse sur le fond de l’affaire pour apprécier la question de la disproportion du cautionnement litigieux par rapport aux biens et revenus dont la caution disposait lorsqu’elle s’est engagée.
A cet égard, la Cour d’appel rappelle qu’en application de l’article 834 du code de procédure civile, « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
Néanmoins , selon les articles L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
En effet, la disproportion de l’engagement de caution aux biens et revenus de la caution est l’un des nombreux moyens de défense que la caution peut utilement opposer à la banque afin de se libérer définitivement de son obligation de garantie.
Il résulte de ce texte que la proportionnalité de l’engagement d’une caution s’apprécie soit au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement.
Il appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus d’apporter la preuve de cette disproportion.
Or, la caution, âgée de 27 ans lors de son engagement, bénéficiait d’une allocation adulte handicapée et ne déclarait des revenus annuels que d’environ 2 500 euros lors de son cautionnement.
La banque n’a pas cru devoir justifier d’une quelconque évaluation de la situation de la caution qui aurait été recueillie lors de la signature de son cautionnement.
Au contraire, la banque ne versait qu’une déclaration de revenus sur l’année précédant son cautionnement et qui faisait apparaître que la caution percevait environ 1000 euros par mois l’année précédant son engagement de caution avec un enfant à charge.
En conséquence, la cour d’appel de Paris a jugé que :
« la circonstance que la banque ne pourrait se prévaloir de cet engagement de caution constitue une contestation très sérieuse s’opposant à la condamnation en référé de Mme X, et ce nonobstant la 'reconnaissance de dette’ alléguée par la banque, qui résulterait d’un courrier envoyé par la caution pour demander des délais de paiement et dont il est tout aussi sérieusement contestable qu’elle vaille renonciation à se prévaloir des dispositions légales relatives à la disproportion ».
Il résulte de cet arrêt que les cautions disposent de sérieux moyens de contestation lorsqu’elles sont assignées en paiement par les banques devant le juge des référés, dont comme au cas présent ceux de l’incompétence matérielle et de l’incompétence territoriale du juge.
Pour ce faire, les cautions poursuivies en paiement devant le juge des référés pourront utilement faire valoir la disproportion de leur cautionnement afin de contester la compétence matérielle du juge pour qu’il renvoi l’affaire devant le juge du fond qui est seul habilité à trancher ce point.
A cet égard, la cour souligne même que la circonstance que la banque ne pourrait se prévaloir de cet engagement de caution en raison de la disproportion du cautionnement constitue une « contestation très sérieuse » qui rend donc incompétent le juge des référés pour condamner une caution.
Cette affaire illustre un nouvel exemple de ce que les banques ne sont pas toutes puissantes et qu’elles agissent en justice souvent de manière illégale.
Au détour de cette décision, la Cour en profite même pour ajouter qu’un courrier envoyé par la caution à la banque pour demander des délais de paiement ne vaut pas reconnaissance de dette.
Ce type de demande n’interrompt donc pas le délai de prescription de cinq ans dont disposent les banques pour agir en justice contre les cautions et ne vaut pas renonciation de celles-ci à se prévaloir de la disproportion.
Pour conclure, il convient de garder en mémoire que ni le tribunal de commerce n’est compétent pour statuer sur le cautionnement d’un associé d’une société qui n’en est pas dirigeant, ni le juge des référés n’est compétent pour condamner une caution au paiement d’un cautionnement disproportionné à ses biens et revenus au jour de son engagement.
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Anthony Bem
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