Guide de légistique: le décret en conseil d'Etat, tout ce que vous ne vouliez pas forcément savoir!

Publié le 27/11/2013 Vu 10 950 fois 0
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Je propose un article issu de ma formation sur la Legistique. Derrière ce mot barbare, se cache des explications à notre casse tête quotidien: l'Administration. Mais, bonne nouvelle: une fois qu'on comprend comment les textes se créent, on sait où aller chercher et quel soulagement! Cet article a vocation à répondre à la question que beaucoup de juristes et de médias me destinent: c'est quoi ces fameux décrets en Conseil d'Etat. Derrière ce vocabulaire, se cache une procédure qui n'a rien de mystérieux mais qui une fois expliquée pourrait faire comprendre certaines décisions et faire aboutir des contentieux...non aboutis! A lire sans précipitation..

Je propose un article issu de ma formation sur la Legistique. Derrière ce mot barbare, se cache des explicati

Guide de légistique: le décret en conseil d'Etat, tout ce que vous ne vouliez pas forcément savoir!

Beaucoup de mes affiliés, y compris juristes, notamment ceux qui avaient le droit constitutionnel et administratif en horreur dés la deuxième année de droit, me demandent régulièrement de leur rappeler les différences d'élaboration entre des textes pourtant fondamentaux comme les lois, les décrets, les ordonannces ect...

Ainsi est né le cours de légistique que je vais proposer dans un autre Blog (LEGIS TICS) qui ouvrira dés demain. Ce blog traitera uniquement de légistique française et comparée sur des sujets variés et européens, montrant comment s'élaborent les textes juridiques et les différences significatives dans différents pays d'Europe, parfois du monde. Vos questions seront les bienvenues et les commentaires aussi.

Si vous avez des besoins auxquels je peux répondre: faites le moi savoir en envoyant un mail à ma fidéle collaboratrice marierobin@magnaforfuture.com en intitulant votre message LEGISTIQUE CONTACT

Je vous en propose un extrait, celui sur les décrets en Conseil d'Etat. On ne commence pas généralement par celui là mais c'est assez étoffé pour ne pas ennuyer ceux qui ont déjà un petit bagage tout en stimulant ( je l'espère) la curiosité de ceux qui survolent à 2000 pieds la matière.

Cela dit, tout administré vivant en France aurait intérêt à connaitre un peu de tout cela pour mieux comprendre et défendre ses droits. Allez c'est parti, plongeons dans l'univers impitoyable de la Légistique à la française.

Qu'est ce qu'un projet de décret en Conseil d'État?

Cela constitue, la plupart du temps, une mesure d'application d'une loi ou d'une ordonnance.

Comme tel, il doit faire l'objet d'une réflexion concomitante à l'élaboration de celle-ci de façon à permettre dès ce stade une vision d'ensemble de la réglementation projetée  et, une fois les dispositions législatives adoptées, de faciliter leur mise en œuvre dans un délai raisonnable.

Les conditions de son élaboration par le ministère qui en est responsable comme les discussions interministérielles auxquelles il donne lieu le cas échéant doivent permettre d'assurer sa régularité juridique et son adaptation à l'objectif recherché.

Processus d'élaboration et calendrier

Lorsqu'ils ne requièrent pas de délibération en conseil des ministres, les décrets en Conseil d'État sont élaborés suivant un processus comprenant les étapes suivantes, à intégrer dans un calendrier prévisionnel :

1. tout d'abord, on commence par une mise au point, au sein du ministère, du projet de texte, de sa notice explicative et, lorsqu'elle est prescrite, de sa fiche d'impact, laquelle doit être soumise au commissaire à la simplification. ( je suis sure que vous découvrez cette fonction!!)

2. On continue par une consultation des ministères appelés à le contresigner ou dont l'avis peut se révéler utile. Par exemple,  le ministère de la justice doit être systématiquement consulté sur les projets de décrets incluant des sanctions pénales et celui de l'outre-mer lorsque des dispositions particulières sont envisagées ou prévues en ce qui concerne l'applicabilité du décret outre-mer ;

3. S'ensuit, en cas de désaccords, une réunion interministérielle. C'est seulement dans l'hypothèse où l'étape précédente a fait apparaître des désaccords, qu'il est alors demandé au cabinet du Premier ministre ou au Premier ministre de trancher : les réunions interministérielles ne constituent pas le mode normal de travail interministériel ; elles ne doivent être sollicitées que pour arbitrer des différends préalablement circonscrits sur la base d'un dossier qui en expose les tenants et les aboutissants ;

4. Puis on en vient à la consultation des organismes dont l'avis est requis ou souhaité; ces consultations ne peuvent être engagées qu'après que le texte du projet ait fait l'objet d'un accord entre les ministères intéressés ou d'une décision du Premier ministre ou de son cabinet ; dans ce dernier cas, la consultation a lieu sur la base du texte qui a été arrêté au cours de la réunion ou des réunions interministérielles ;

5. Enfin, on arrive à la saisine du Conseil d'État ; le Conseil d'État doit être saisi après les autres organismes dont la consultation est requise ou souhaitée ; il ne peut statuer qu'au vu des avis rendus par les organismes dont la consultation est obligatoire ou de la saisine de ces organismes lorsque les textes qui prévoient leur consultation permettent, à l'expiration d'un délai déterminé, de passer outre à une absence d'avis.

La lettre de saisine du Conseil d'État par le ministère rapporteur peut être signée par le Ministre, le directeur de cabinet du ministre ou un directeur d'administration centrale (sauf pour les textes en conseil des ministres et décrets de l'article 37 second alinéa de la Constitution dont le Conseil d'Etat est saisi par le secrétariat général du Gouvernement). Elle doit être adressée à celle des sections du Conseil d'Etat qui est compétente en application de l'arrêté du 4 juillet 2008 portant répartition des affaires entre les sections administratives du Conseil d'Etat.

En pratique, il faut savoir que dés la nomination du ministre, les délégations de signature sont faites de telle façon que le Ministre (élu et politique) ne signe plus grand chose mais que ce sont les directeurs de cabinet ( imposés souvent par l'Elysée ou Matignon après tractation et trés attachés à l'idéologie de leur corps d'origine) ainsi que les directeurs d'administration centrale ( à ce poste par évolution de carrière et encore plus attachés à leur corps d'origine) qui mènent la danse des signatures. AInsi, il arrive que le Ministre connaisse l'existence d'un texte qu'il aurait "signé" que par le biais de la presse, voire aurait été opposé à ce texte s'il l'avait connu...

Mais l'aventure du projet de décret n'est pas fini, on en jugera:

Outre cette lettre, le dossier adressé au Conseil d'Etat via S.O.L.O.N. comprend les éléments suivants ( on comprend dés lors pourquoi un décret met parfois des années à être publié!!) :

- le projet de décret et, le cas échéant, ses annexes ;

- la notice explicative ;

- le rapport de présentation ( dans des cas spécifiques);

- la fiche d'impact ( notamment financière);

- une fiche recensant l'ensemble des consultations obligatoires et mentionnant la date à laquelle il y a été ou sera procédé, à laquelle sont joints les avis rendus ou, à défaut, les lettres de saisine des organismes consultés ;

- une fiche présentant les conditions d'application outre-mer du projet de texte et les consultations qui s'en déduisent ;

- une fiche expliquant le raisonnement tenu quant aux conditions d'entrée en vigueur et aux mesures transitoires, justifiant les dispositions retenues en la matière ou le cas échéant l'absence de telles dispositions ;

- pour les projets de décret modifiant les textes en vigueur, la version consolidée du texte modifié en faisant apparaître les modifications en corrections apparentes ;

- en cas de transposition de directive, un tableau de concordance entre les dispositions de droit de l'Union européenne à mettre en œuvre et le droit national établi suivant un modèle défini.

- dans l'hypothèse où le projet créerait ou réformerait une commission consultative, l'étude de nécessité prévue par l'article 2 du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif ;

- le cas échéant, les lettres d'accord, datées et signées, des départements ministériels concernés ou le compte rendu de la réunion interministérielle ;

- s'il s'agit d'un texte d'application d'une loi ou d'une ordonnance, copie de la disposition concernée ;

- le cas échéant, copie de la directive européenne que le texte a pour objet de transposer ;

- la liste des ministres et secrétaires d'État intéressés, ainsi que le nom, la qualité, l'adresse postale, l'adresse électronique et le numéro de téléphone des fonctionnaires susceptibles d'être désignés en qualité de commissaire du Gouvernement au Conseil d'État.

Lorsque cela s'avère nécessaire à la compréhension du projet, notamment dans le cas de textes modificatifs, une fiche présentant chaque disposition ou groupe de dispositions de manière plus détaillée que la notice est en outre fournie.

À défaut de l'un ou l'autre de ces éléments, l'instruction du dossier sera reportée.

Si, à titre exceptionnel, une saisine rectificative est nécessaire, celle-ci identifie clairement les modifications proposées par rapport au projet initial en suivant sa structure. Les articles ou ensembles d'articles sans changement sont éludés et remplacés par le signe typographique […].

Interessant de savoir que la numérotation des articles est poursuivie si des articles complémentaires sont ajoutés à la fin du projet. En revanche, s'ils s'insèrent dans le projet, il convient de les numéroter en fonction du numéro de l'article qui précède en ajoutant les suffixes bis, ter, quater…de sorte à ne pas modifier la numérotation des articles suivants du projet initial. C'est la raison d'une lourdeur de certains décrets qui nous fascinent parfois par leur incohérence de lecture (sic)

6. Choix du texte définitif ; il est bon de savoir et de rappeler qu'en cas de consultation obligatoire, même si l'autorité administrative n'est pas liée par l'avis, elle ne peut pas retenir un texte traitant de questions nouvelles par rapport au projet soumis à consultation et aux observations ou suggestions éventuellement émises par l'organisme consulté.

Nous rentrons désormais dans la technique juridique administrative qui interessera tous les avocats ou juristes du contentieux en général, notamment parce que le décret en Conseil d'Etat doit respecter certaines règles que la jurisprudence du Conseil d'Etat a permis d'expliciter.

Ainsi, en ce qui concerne le Conseil d'État, le texte retenu ne peut être différent à la fois du projet du Gouvernement et de l'avis du Conseil d'État ; ce principe est apprécié strictement.

Son application se fait par ensemble de dispositions ayant entre elles un rapport au sens de la jurisprudence, c'est-à-dire le plus souvent par article ou par subdivision d'article (voir notamment CE, 16 octobre 1968, Union nationale des grandes pharmacies de France, n° 69186).

Attention: Il a en outre été jugé que ne peut être regardé comme ayant été pris en Conseil d'État un décret qui reprend le texte adopté par le Conseil d'État mais qui, en le complétant, même par des dispositions qui figuraient dans le projet initial du Gouvernement, en modifie l'économie générale sans pour autant revenir à celle du projet initial (CE, 10 janvier 2007, Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles, n° 283175).

La jurisprudence du Conseil d'État témoigne de la rigueur de ces règles (voir par exemple CE, 2 mai 1990 Joannides, n° 86662), de sorte que le Gouvernement court les plus grands risques, sur le plan contentieux, en adoptant une rédaction qui s'écarte, même sur des points de détail, tant de celle adoptée par le Conseil d'État que de celle du projet initial.

Réserve faite d'erreurs matérielles susceptibles d'être corrigées sur la minute du texte arrêté par le Conseil d'État, le Gouvernement n'a donc d'autre solution, lorsqu'il souhaite adopter un texte différent tout à la fois de son projet initial et du texte du Conseil d'État, que de ressaisir ce dernier du texte correspondant à la rédaction souhaitée, en vue d'une nouvelle délibération.

Petit truc de technique juridique pour des modif' d'ampleur limitée: Il est souvent possible de prévenir cette situation alors que le texte est en cours d'examen au Conseil d'État, en suggérant au rapporteur de reprendre à son compte certaines des modifications envisagées ou, si celles-ci ne semblent pas devoir recueillir l'accord du Conseil d'État, en les faisant consigner comme des amendements verbalement apportés par le Gouvernement à son texte initial. Ces façons de procéder ne valent toutefois que pour les modifications d'ampleur limitée. Pour les modifications substantielles, il convient de procéder à une saisine rectificative ou complémentaire.

Lorsque le ministère souhaite, en cas de divergence, revenir à son texte initial, il lui appartient de demander la convocation d'une réunion interministérielle, présidée par un membre du cabinet du Premier ministre et le secrétaire général du Gouvernement et ayant pour objet d'apprécier l'opportunité de ne pas suivre l'avis rendu par la Haute Assemblée. Le dossier de mise à la signature du décret doit comprendre dans tous les cas une note présentant les éventuelles divergences avec le texte adopté par le Conseil d'État.

7. Envoi du texte au contreseing des ministères, le cas échéant selon la procédure de contreseing simultané.

8. Envoi du texte à la signature (ou au contreseing) du Premier ministre ; dans l'hypothèse d'un décret du Président de la République, la signature du chef de l'État est recueillie par les soins du secrétariat général du Gouvernement ; le projet n'est présenté au Premier ministre que s'il est accompagné des pièces dont la liste est d'ores et déjà fixée et si son opportunité ou sa régularité n'ont fait l'objet d'aucune observation de la part tant du cabinet du Premier ministre que du secrétariat général du Gouvernement.

Le problème est que ces observations devraient être faites bien en amont et surtout par des personnes ayant compétence pour le faire...D'où certaines bourdes médiatiquement relayées où retoquage constitutionnel et censure administrative ne font pas une trés bonne publicité à l'appareil politique quand en réalité il s'agit de l'appareil administratif et ministériel qui n'est pas maitrisé. Problème de recrutement? trés jeunes et souvent peu expérimentés sauf dans le relationnel et la plume, les conseillers et technocrates ont une véritable compétence: celle de marquer de leurs empreinte et de leur ego corporatiste des textes destinés à être appliqués par des personnes lambda.

On aurait aimé que le commissaire à la simplification coordonne le tout et puisse inscrire cet objectif de bout en bout...idée? question? commentaire? à vos claviers et faites passer

A demain...

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Muriel BODIN

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