Le rapport de l’avantage indirect consenti à l’héritier occupant et nu-propriétaire indivis

Publié le 18/11/2022 Vu 2 080 fois 0
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L’indemnité de rapport due par le donataire d’un immeuble en nue-propriété qu’il a occupé gratuitement est égale aux loyers qui auraient dû être payés si le bien avait été loué.

L’indemnité de rapport due par le donataire d’un immeuble en nue-propriété qu’il a occupé gratuiteme

Le rapport de l’avantage indirect consenti à l’héritier occupant et nu-propriétaire indivis

Une femme décède le 8 février 2015, laissant pour lui succéder ses deux fils. L’un d’eux a occupé gratuitement depuis janvier 1971 jusqu’au décès de leur mère usufruitière, à titre privé et professionnel, une partie d’une propriété familiale dont il était nu-propriétaire avec son frère. Ce dernier assigne son cohéritier en justice en vue d’obtenir le rapport de l’avantage indirect résultant de cette occupation gratuite à la succession de leur mère. Le frère défendeur fait grief à l’arrêt d’appel de dire qu’il a bénéficié d’un avantage indirect et de le condamner à rapporter à la succession la somme de 261 536 € à ce titre.

Il soutient, d’une part, qu’il a réalisé des travaux en 1971 et 1972 en vue de rendre la propriété habitable. Or, il fait valoir que pour être rapportable, un avantage indirect doit avoir causé un appauvrissement du de cujus. D’autre part, il argue que le montant dû au titre du rapport ne peut excéder l’appauvrissement du gratifiant. Il reproche ainsi à la cour d’appel d’avoir calculé le montant de l’avantage indirect en se bornant à déduire des loyers qui auraient dû être versés « le montant des travaux payés pour le compte de l’usufruitière », c’est-à-dire les réparations d’entretien, alors qu’il y avait lieu de tenir compte de l’ensemble des réparations incombant à celle-ci en sa qualité de bailleresse, ce qui incluait les grosses réparations.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. D’une part, elle affirme qu’il n’était pas démontré que l’immeuble n’était pas, à l’époque où les travaux ont été réalisés, en état d’être mis en location. D’autre part, en ce qu’il cumulait les obligations d’un locataire et d’un nu-propriétaire, le gratifié ne pouvait réclamer à l’usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives – en cela mises à la charge du bailleur par l’article 1720 du Code civil –, relevaient du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l’article 605 du Code civil.

Pendant longtemps, la Cour de cassation a multiplié les décisions admettant le rapport successoral de l’avantage indirect résultant de la mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un enfant. Comme le rappelle Nicole Petroni-Maudière, coauteur du Mémento Successions et Libéralités, ces décisions s’appuyaient sur un but d’égalité des cohéritiers et étaient confortées par la loi du 23 juin 2006 posant le principe de l’obligation au rapport des donations de fruits et revenus (C. civ. art. 851, al. 2). Puis, par quatre arrêts rendus en 2012 et 2014, la Cour de cassation a fait machine arrière (Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 10-25.685 FS-PBI : Sol. Not. 3/12 inf. 60 ; Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 10-27.325 FS-PBI : D. 2012 p. 283, RTD civ. 2012 p. 353 obs. M. Grimaldi ; Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 11-12.863 FS-PBI : BPAT 2/12 inf. 106 ; Cass. 1e civ. 25-6-2014 no 13-16.409 F-D : Petites Affiches 14-5-2015 p. 16 note A. Chamoulaud-Trapiers). Il a résulté de ce revirement que :

 

- d’une part, l’avantage indirect induit de la mise à disposition gratuite n’est assujetti au rapport que s’il constitue une libéralité ;

- d’autre part, la qualification de donation qui commande le rapport impose que soit rapportée la preuve d’un appauvrissement du disposant et d’une intention libérale de ce dernier. Ce point délicat dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Parfois, ces questions ne se posent pas. La Cour de cassation a ainsi admis que la mise à disposition gratuite d’un logement, dès lors qu’elle a été qualifiée par les juges du fond de prêt à usage (ou commodat), et donc de contrat de service gratuit, confère seulement à son bénéficiaire un droit à l’usage de la chose prêtée sans transfert de droit patrimonial à son profit : aucun appauvrissement du prêteur n’étant caractérisé, la qualification d’avantage indirect rapportable doit être écartée.

Dans le présent arrêt, la Haute Juridiction retient la qualification d’avantage indirect rapportable attribuée à la mise à disposition gratuite d’un immeuble. Cela tient peut-être à la durée particulièrement longue de l’occupation gratuite (44 ans) ainsi qu’à l’usage mixte de la propriété, servant à la fois de logement et de cabinet de médecin à l’enfant bénéficiaire. La question du prêt à usage n’a en tout cas pas été soulevée, même si « le critère de la durée a été relativisé, de sorte que l’on pourrait parfaitement concevoir un prêt à usage de longue durée qui, par définition, ne sera pas rapportable à la succession ». Quoi qu’il en soit, dès lors que le caractère d’avantage indirect rapportable est retenu comme en l’espèce, se pose la question de l’appauvrissement du disposant. Ici, la difficulté était accentuée, d’une part, par le démembrement de la propriété entre la mère, usufruitière, et ses deux fils nus-propriétaires et, d’autre part, par le fait que l’enfant bénéficiaire avait effectué d’emblée des travaux d’importance dans la propriété avant de l’occuper. Pour que l’appauvrissement du disposant soit écarté, il appartenait au bénéficiaire de démontrer que l’immeuble n’était pas en état d’être loué lors de sa mise à disposition. À défaut, il convenait d’articuler les règles du droit des libéralités et des successions (C. civ. art. 843) avec celles du droit des biens (C. civ. art. 1720 et 605). Une fois posée l’assimilation du nu-propriétaire occupant au locataire et une fois admis que le montant rapportable au titre de la libéralité correspondait aux loyers qui auraient dû être versés, déduction faite du montant des travaux incombant au disposant, la question portait sur la qualification des travaux permettant de déterminer la répartition de leur charge :

- à l’usufruitier/bailleur les réparations d’entretien nécessaires autres que locatives ;

- au nu-propriétaire les grosses réparations – concernant la structure et la solidité générale de l’immeuble – et, en sa qualité d’occupant, les réparations locatives.

Il en résultait que l’enfant occupant à titre gratuit, qui était tenu en sa qualité de nu-propriétaire, avec son frère coindivisaire, des grosses réparations qu’il avait financées sur l’immeuble, était débiteur d’une « indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière ».

La Cour de cassation apporte dans l'arrêt du 2 mars 2022 de précieux éclairages concernant deux délicates difficultés liquidatives pour ceux qui doivent procéder au partage (les notaires principalement) : l'avantage indirect (I) et la créance de gestion de l'indivision (II).

 

I.             L'avantage indirect

 

A.  Qualification de l'avantage indirect

On sait que depuis un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation est devenue stricte quant à la qualification de donation indirecte en cas de mise à disposition gratuite d'un logement, comme en l'espèce. Alors que jusque-là, l'avantage indirect constitué par la mise à disposition gratuite d'un bien pouvait être rapportable, même sans intention libérale, elle estime depuis que le rapport n'étant dû que des libéralités, l'intention libérale doit être, dans cette hypothèse, dûment caractérisée.

Ce n'est cependant pas sur ce terrain, celui de l'élément moral de l'avantage indirect, que le frère occupant contestait en l'espèce son existence, mais sur celui de son élément matériel. Ayant effectué d'importants travaux qu'il estimait indispensables à un usage des lieux à titre d'habitation permanente, il faisait valoir que l'appauvrissement ne pouvait être caractérisé que si les loyers que la défunte aurait été susceptible de percevoir avaient pu excéder le coût des travaux à effectuer et les intérêts de l'emprunt qu'elle aurait dû souscrire pour les financer.

Pour le dire autrement, l'héritier occupant considérait, d'un côté, que l'usufruitière aurait dû financer lesdits travaux avant d'envisager toute mise à bail du bien ; or leur coût équivalait, selon lui toujours, aux possibles loyers perçus, de sorte que la mise à bail aurait été une opération nulle pour l'usufruitière (qui ne se serait donc ni enrichie ni appauvrie). D'un autre côté, l'héritier occupant avançait que la mise à disposition gratuite du bien à son bénéfice constituait aussi une opération nulle pour l'usufruitière : elle ne s'était certes pas enrichie des loyers, mais ne s'était pas appauvrie du montant des travaux.

La Cour de cassation estime qu'« il n'était pas démontré que cet immeuble n'était pas, à cette époque, en état d'être mis en location ». En refusant de reconnaître la nécessité des travaux avant toute mise à bail du bien, la Cour de cassation ruine les fondations du raisonnement tenu par le pourvoi. Si de tels travaux n'étaient pas nécessaires, alors l'usufruitière se serait enrichie des loyers perçus en cas de mise à bail du bien et s'est donc bien appauvrie en ne les percevant pas du fait de la mise à disposition gratuite à l'héritier occupant. Dès lors, l'avantage indirect est caractérisé et doit être rapporté à la succession.

 

B.   Montant de l'indemnité de rapport

C'est alors sur le calcul du montant à rapporter que s'est cristallisé le débat. Il n'était pas contesté que le montant dû devait correspondre au montant total des loyers non perçus du fait de la mise à disposition gratuite. En revanche, le pourvoi soutenait que devait venir en déduction de cette somme le montant de l'ensemble des réparations et travaux que le fils occupant avait effectués et qui auraient incombé à sa mère en tant que « bailleresse » aux termes de l'article 1720 du Code civil.

Pour rejeter ce moyen, la Cour de cassation se fonde sur les articles 843, 1720, alinéa 2 et 605 du Code civil dont elle rappelle les termes. Plus précisément, le deuxième texte invoqué dispose que le bailleur est tenu de faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.

Selon le troisième, l'usufruitier est tenu des réparations d'entretien et le propriétaire des grosses réparations. Or l'application de ces textes peut mener à des résultats très différents selon la manière dont on analyse les faits de l'espèce. Ainsi la défunte peut être tout à la fois considérée comme l'usufruitière, tenue seulement des dépenses d'entretien ou la « bailleresse » tenue de toutes les réparations nécessaires autres que locatives. Inversement, le fils occupant en tant que nu-propriétaire est tenu des grosses réparations, sauf à considérer qu'il n'est tenu que des dépenses locatives en tant que « locataire ».

La Cour de cassation décide que le fils occupant « en ce qu'il cumulait les devoirs d'un locataire, auquel sa position d'occupant l'assimilait, et les obligations issues de la nue-propriété de l'immeuble, ne pouvait réclamer à l'usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives mises à la charge du bailleur par l'article 1720 du Code civil, relevaient du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l'article 605 du même code. ». En d'autres termes, sont à la charge du fils occupant à la fois les réparations locatives (en tant qu'occupant assimilé à un locataire) et les réparations autres que locatives constituant de grosses réparations (en tant que nu-propriétaire).

Dès lors, toutes ces dépenses ne pouvaient venir en déduction du montant total des loyers non perçus, seul le montant des réparations ou frais d'entretien effectivement à la charge de la défunte pouvait l'être, comme l'avait justement décidé la cour d'appel (« Elle en a exactement déduit que celui-ci était tenu d'une indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d'entretien incombant normalement à l'usufruitière ».

S'il n'a pas obtenu satisfaction sur le terrain de l'indemnité de rapport dont il est bien débiteur, le demandeur au pourvoi obtient gain de cause sur celui de la créance de gestion d'indivision dont il n'est pas débiteur cette fois-ci.

 

II.          L'indemnité de gestion de l'indivision

 

A.  Conditions de l'indemnité de gestion de l'indivision

Selon l'article 815-12 du Code civil, « l'indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis a droit à la rémunération de son activité, dans les conditions fixées à l'amiable, ou, à défaut, par décision de justice ». Il est enseigné qu'une telle rémunération suppose que l'indivisaire accomplisse des actes de gestion relatifs à l'indivision et qu'il dispose d'un titre de gérant (Albiges Chr., Rép civ., Vo Indivision : régime légal, spéc. no 120). La cour d'appel avait accordé, en l'espèce, au frère non occupant deux indemnités de gestion de l'indivision, l'une pour la période antérieure au décès de sa mère et l'autre pour la période postérieure à ce décès. Le pourvoi contestait cependant que les conditions de telles indemnités soient remplies.

 

B.   Les indemnités de gestion

 

1.    Indemnité de gestion de l'indivision antérieure au décès de la mère

Le frère de l'occupant a demandé et obtenu devant la cour d'appel une indemnité de gestion de l'indivision, pour la période antérieure au décès de sa mère, période pendant laquelle il était nu-propriétaire indivisaire avec son frère occupant, alors que leur mère était encore usufruitière du bien. Plus précisément, il estimait avoir accompli des actes de gestion en effectuant des travaux d'entretien, et ce en vertu d'un mandat tacite qui lui conférait un titre de gérant.

La Cour de cassation ne se laisse pas duper par ce raisonnement. En effet, comme elle le rappelle, selon l'article 815-3 du Code civil, « si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration ». Néanmoins, ce mandat tacite est donné uniquement pour les actes de gestion de l'indivision. Or en accomplissant des travaux d'entretien, le fils n'a pas accompli de tels actes, mais a assumé la charge de réparations d'entretien qui revenaient à sa mère, usufruitière en vertu de l'article 605 du Code civil, déjà cité.

C'est ce qui explique que la Cour de cassation décide qu'« il n'existe pas d'indivision entre l'usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente, de sorte que [le frère non occupant] ne pouvait avoir reçu mandat de son coïndivisaire en nue-propriété d'accomplir des travaux d'entretien incombant à l'usufruitière ». D'une certaine manière, le frère de l'occupant avait tout faux ! Si le frère de l'occupant a effectué des travaux et qu'il estime ne pas devoir en supporter la charge, il lui incombe de déterminer la personne tenue de la contribution à la dette et d'agir contre elle sur un fondement pertinent.

En présence d'un usufruitier, contributeur à la dette, et alors qu'il est nu-propriétaire, il ne pouvait pas invoquer les règles de l'indivision à l'encontre de l'usufruitier puisque leurs droits ne sont pas de même nature et qu'il en résulte une absence d'indivision. Tant l'idée de mandat que d'indemnité de gestion sont alors hors de propos. Autrement dit, dès lors qu'il n'y avait ici ni acte de gestion de l'indivision ni titre de gérant, l'indemnité de gestion de l'indivision antérieure au décès de la mère n'était pas due.

 

2.    Indemnité de gestion de l'indivision postérieure au décès de la mère

De la même manière, le frère non occupant avait obtenu une créance de gestion de l'indivision existant entre lui et son frère, cette fois-ci pour la période postérieure au décès de sa mère. Pour justifier sa solution, la cour d'appel a relevé qu'il « a réalisé des travaux d'entretien sur des biens en indivision avec son frère ». Cette fois-ci, puisqu'il est question des rapports entre propriétaires, le droit de l'indivision pouvait être sollicité. Ce n'est donc pas sur ce terrain que l'arrêt d'appel va être cassé.

La Cour de cassation va en effet estimer que la cour d'appel n'a pas relevé d'actes caractérisant la gestion des biens indivis postérieurement au décès privant ainsi sa décision de base légale. C'est dire que la cour d'appel de renvoi pourra retenir à son tour une créance de gestion de l'indivision si les faits le lui permettent, sans qu'il s'agisse d'un arrêt de résistance ou de rébellion : il faudra simplement veiller à mieux motiver la décision et à faire apparaître les éléments établissant ladite gestion de l'indivision, justifiant une indemnisation.

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045308924?isSuggest=true

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007048982?init=true&page=1&query=03-13.890+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025183105?init=true&page=1&query=10-25.685+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025183182?init=true&page=1&query=10-27.325+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025182970?init=true&page=1&query=11-12.863+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000029154454?init=true&page=1&query=13-16.409+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035807088?init=true&page=1&query=16-21.419&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028759449?init=true&page=1&query=13-14.139+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035807088?init=true&page=1&query=16-21.419&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000025183046?init=true&page=1&query=09-72.542&searchField=ALL&tab_selection=all

 

 

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