ALCOOL AU TRAVAIL : MIEUX VAUT NE PAS VOIR LE REGLEMENT INTERIEUR TROUBLE !

Publié le 28/04/2015 Vu 3 186 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

L’article 4 de la Déclaration des droits de l'homme est ainsi rédigé : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Certes la phrase est concise mais, elle révèle tout son sens…

L’article 4 de la Déclaration des droits de l'homme est ainsi rédigé : « la liberté consiste à pouvoir

ALCOOL AU TRAVAIL : MIEUX VAUT NE PAS VOIR LE REGLEMENT INTERIEUR TROUBLE !

Si l’on applique cette disposition au droit du travail, cela signifie qu’un employeur ne peut apporter aux droits des salariés et à leurs libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.

L'ébriété au travail peut constituer un motif de licenciement mais, tout dépend des circonstances, du règlement intérieur, de la tolérance de l'employeur, du caractère isolé ou non de l'incident... Aussi, un salarié peut se voir licencié pour faute grave s’il a déjà fait l'objet d'avertissements pour ce motif et que son comportement a des répercussions sur la qualité de son travail et le fonctionnement de l'entreprise.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par une société d’autoroute en qualité d'ouvrier routier qualifié. Suite à une mise à pied à titre conservatoire puis, une convocation devant le conseil de discipline et un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, il fût licencié pour faute grave notamment pour s'être trouvé en état d'imprégnation alcoolique sur son lieu de travail.

Le salarié reprochait aux juges du fond de l’avoir débouté de sa demande de nullité du licenciement et, en conséquence, de ses demandes de réintégration et de paiement des salaires qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son éviction jusqu'à celle de sa réintégration.

La question qui se posait était de savoir si le fait de soumettre un salarié à un contrôle d'alcoolémie en dehors du lieu de travail, en méconnaissance des modalités prescrites par le règlement intérieur de l'entreprise, caractérisait la violation d'une liberté fondamentale emportant nullité du licenciement.

En tout état de cause, on sait que le recours à un contrôle d’alcoolémie ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale lorsqu’il permet de constater l'état d'ébriété d'un salarié au travail.

En revanche, l’employeur se doit de respecter certaines règles pour que le contrôle soit légitime.

Quand on analyse la nature du travail confié au salarié, il faut qu’un tel état d'ébriété soit de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger. Ensuite, les modalités du contrôle doivent être prévues dans le règlement intérieur et en permettre la contestation. En outre, il est tout à fait possible de l’effectuer hors de l'entreprise pour des raisons techniques.

Pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, la Cour d’appel de Dijon avait retenu que, si de principe, rien n'interdit à l'employeur d'utiliser les résultats d'un contrôle d'alcoolémie à des fins disciplinaires, faut-il encore qu'il ne se le soit pas interdit et que le contrôle soit réalisé en conformité avec les prescriptions du règlement intérieur.

En l’espèce, il résultait des dispositions combinées du règlement intérieur et de « la charte du district de Dijon » concernant la consommation d'alcool sur les lieux de travail que le contrôle d'alcoolémie avait pour objet de faire cesser une situation dangereuse et non de faire constater une faute et que des « mesures » autres que celles prévues à la charte (une sanction) n’étaient envisagées qu'en cas de récidive. Les juges dijonnais en avaient déduit que comme « l'épisode alcoolique » du salarié n’avait pas eu des précédents, il ne pouvait à lui seul justifier un licenciement au regard des dispositions en vigueur au sein de l'entreprise.

La Haute Cour a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon aux motifs que le règlement intérieur (entré en vigueur bien après la charte) permettait à l'employeur d'opérer des contrôles de l'état d'imprégnation alcoolique de certaines catégories particulières de salariés auxquelles appartenait l'intéressé et qui, en raison de la nature de leurs fonctions, pouvaient exposer les personnes ou les biens à un danger. La chambre sociale a souligné que la charte d'entreprise avait pour seul objet de prévenir l'alcoolisation sur les lieux de travail de l'ensemble du personnel et de définir les mesures immédiates à prendre en cas d'imprégnation aigüe et occasionnelle de certains.

On retiendra de cette jurisprudence que si rien n'interdit à l'employeur d'utiliser les résultats d'un contrôle d'alcoolémie à des fins disciplinaires, faut-il encore qu'il ne se le soit pas interdit et que le contrôle soit réalisé en conformité avec les prescriptions du règlement intérieur.

Dans le cas présent, les modalités du contrôle d'alcoolémie prévoyaient qu’il devait être réalisé par l'encadrement et en présence d'une tierce personne appartenant au personnel de la société. Il devait s'effectuer à l'aide d'appareils de type alcootest, calibrés au taux réglementaire en matière de conduite de véhicules. En cas de contrôle positif, l'agent concerné devait être renvoyé, et si nécessaire, raccompagné à son domicile.

La société s'était également pourvue « d'une charte du district de Dijon » concernant la consommation d'alcool sur les lieux de travail. Celle-ci encadrait l’utilisation de l'alcootest en précisant qu’il avait pour objet de faire cesser une situation dangereuse et non de faire constater une faute. Elle prévoyait aussi un entretien avec la hiérarchie afin de définir les mesures en cas de récidive.

Quid juris : le licenciement était-il alors intervenu en violation d'une liberté fondamentale ?

La Haute Cour a répondu par la négative en écartant la nullité du licenciement demandée par le salarié. La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que le recours à un contrôle d'alcoolémie en dehors de l'entreprise ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale sous réserve de respecter certaines limites.

L’employeur étant tenu à une obligation de sécurité de résultat, le contrôle se justifiait eu égard à la nature du travail confié au salarié, un tel état d'ébriété était de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

De plus, les modalités du contrôle étaient inscrites dans le règlement intérieur et permettaient l’exercice des droits de la défense.

Dès lors, le contrôle d'alcoolémie effectué par l'employeur ne constituait donc pas une atteinte à une liberté fondamentale.

Enfin, il convient aussi de rappeler que le contrôle positif d'une alcoolémie, dont les modalités sont prévues par le règlement intérieur, peut déboucher sur une sanction basée sur le manquement à l'obligation de sécurité que le salarié a pour sa propre sécurité et celle des autres.

Nadia RAKIB

Sources

Cour de cassation, chambre sociale, 31 mars 2015, n° 13-25436

Cour d'appel de Dijon, arrêt du 19 septembre 2013

Articles L 1121-1 ; L 4122-1 du Code du travail

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.