Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendu le 25 août 2022 par la Cour d’appel de Nîmes concernant une problématique entre associés d’une SCI familiale, mais aussi et surtout entre ex-époux.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, un couple a vécu près de 20 ans en union libre et avait acquis un immeuble à travers une SCI dont Monsieur était porteur de parts à 1 % et Madame à 99 %.
Par la suite, ces derniers se sont mariés et ont finalement divorcé, suivant un jugement de divorce qui a été rendu le 11 décembre 2014.
Dès la séparation, c’est-à-dire à partir, de l’ordonnance de non-conciliation du 26 juin 2012, Monsieur M. occupait le bien de la SCI et, tant bien même ce dernier était associé minoritaire à 1 %, il était également gérant.
C’est dans ces circonstances que le 15 septembre 2013, la SCI N. représentée par son gérant, Monsieur M,. consentait un commodat à titre gratuit à Monsieur M. lui-même, se portant sur les 1er et 2ème étages de l’immeuble, étant d’ailleurs précisé que le rez-de-chaussée était mis à bail commercial de la pharmacie qui appartenait à Monsieur M.
Commodat à titre gratuit pour occuper le bien familial
En effet, le 1er octobre 2013, la SCI représentée par Monsieur M. signait avec la pharmacie P. un nouveau bail commercial pour un loyer mensuel de 1 000 €.
Le 16 juin 2014, dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire sous la présidence de mandataires désignés judiciairement, il est décidé de la révocation de Monsieur M. de sa fonction de gérant, et de la nomination de Madame N. en qualité de gérant pour une durée illimitée.
C’est dans ces circonstances que Monsieur M. a par la suite assigné la SCI N. aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 420 000 € au titre du remboursement de son compte courant associé.
Le sort du compte courant associé entre époux associés dans une SCI
En effet, dans le cadre de la procédure, Monsieur M. rappelait que, tant bien même il n’était qu’associé à 1 % au sein de la SCI, il n’en demeurait pas moins qu’il avait alimenté le compte de la SCI pour faire face aux engagements bancaires ainsi qu’à l’ensemble des charges de l’immeuble, de telle sorte qu’il considérait que, nonobstant sa participation à 1 % au sein des parts sociales de la SCI, il était bénéficiaire d’un compte courant associé très largement créditeur pour près de 420 000 €.
C’est dans ces circonstances que la Cour d’appel venait s’exprimer et venait aborder, certes la problématique du compte courant d’associés qui est importante, mais également la problématique du sort du commodat et finalement quelque part de l’occupation par l’un des ex-époux de la SCI familiale à titre gratuit.
Compte entre époux, entre compte courant associé et commodat
Dans le cadre de cet appel, la SCI N. demandait à la Cour de débouter Monsieur M. de ses demandes en paiement de compte courant associé, et de dire et juger nulles les conventions de commodat et de bail signées en 2013 subsidiairement inopposables à la SCI N.
La SCI sollicitait que Monsieur M. soit déclaré occupant sans droit ni titre, expulsable sous astreinte à l’issue d’un délai de 36 mois, et redevable d’une indemnité mensuelle d’occupation de 3 000 € par mois depuis le 1er octobre 2012, dire Monsieur M. occupant sans droit ni titre du local commercial à usage de pharmacie, expulsable sous astreinte dans un délai de 6 mois et redevable d’une indemnité mensuelle d’occupation de 2 000 € à compter du 1er octobre 2013.
Et, dans l’hypothèse où ces conventions ne seraient pas annulées, de dire que Monsieur M. a commis une faute en signant des conventions défavorables à la SCI, et le condamner à payer par mois 3 000 € pendant la durée du commodat, et 1 000 € pendant la durée du bail commercial.
Pour autant, à hauteur de Cour d’appel, la Cour d’appel de Nîmes reconnaît que les comptes courants associés sont extrêmement clairs et par voie de conséquence, il y a lieu de condamner la SCI au paiement de ces dernières.
Le compte courant associé de l’époux ayant tout réglé consacré
En effet, Monsieur M. réclame le paiement de la somme de 420 000 € au titre du remboursement de son compte courant associé et ce, alors même que la SCI conteste le montant du compte courant associé, au motif que certaines écritures seraient irrégulières, voire frauduleuses.
Pour autant, la Cour d’appel ne s’y trompe pas.
En effet, si la SCI N. reproche l’inscription au cours des années 2002 à 2012 d’un certain nombre de sommes, il n’empêche que la SCI N. avait effectivement souscrit un emprunt pour financer l’acquisition de l’immeuble et les travaux dont les remboursements mensuels représentaient la somme de 2 483,27 €.
Or, la seule source de revenus pour la SCI résultait de la perception des loyers du bail commercial consenti à une pharmacie installée au rez-de-chaussée pour un montant mensuel de 1 500 €.
Ainsi, les revenus locatifs de la SCI N. étaient donc insuffisants pour faire face au remboursement des échéances de crédit, ce qui a amené les associés, et plus particulièrement Monsieur M., à verser de l’argent pour permettre à la SCI de rembourser les échéances d’emprunt.
Les revenus locatifs insuffisants pour la SCI
Ainsi, il apparaît que les virements effectués par Monsieur M. sur ses fonds personnels ne constituaient donc pas des loyers dont il était redevable, mais bien des apports à la société qu’il était en droit d’inscrire au crédit de son compte courant associé.
Par voie de conséquences, ce dernier était parfaitement fondé à venir réclamer le paiement de son compte courant associé.
Concernant la question du commodat, il est rappelé que la SCI N. sollicitait de voir prononcer la nullité ou l’inopposabilité de la convention du commodat et du bail commercial signés par Monsieur M. en qualité de gérant respectivement les 15 septembre 2013 et le 1er octobre 2013.
La SCI N. estimant que ces contrats sont contraires à l’intérêt de la société, le premier conférant une occupation gratuite de la partie d’habitation à Monsieur M., le second réduisant le montant du loyer dû par le locataire commercial.
Pour autant, c’est ainsi que sur la validité de la convention du commodat, la Cour d’appel de Nîmes souligne que depuis le 15 septembre 2013, la SCI N. représentée par son gérant, Monsieur M., consentait un commodat à titre gratuit à Monsieur M. (c’est-à-dire lui-même), portant sur les 1ers et 2ème étages de l’immeuble, correspondant à la partie habitation de l’immeuble.
La Cour d’appel souligne à juste titre qu’aucune règle n’interdit à une SCI de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite de l’un de ses associés.
Commodat ou disposition gratuite du bien au profit de l’associé
Toutefois, la Cour souligne que si les statuts de la SCI n’indiquent pas dans l’objet social la faculté d’une mise à disposition gratuite au profit des associés, celle-ci doit être autorisée en Assemblée Générale des associés statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts.
Autrement dit, le gérant seul ne peut décider de cette occupation gratuite.
En l’espèce, pour la Cour d’appel, l’objet social ne précise pas expressément que les biens de la SCI N. pourront être mis gratuitement à la disposition des associés, de sorte qu’une décision des associés aux conditions majoritaires requises par les statuts pour modifier l’objet social y était nécessaire.
A titre de sanction du défaut de validité de cet acte, la SCI N. demande que l’acte soit déclaré nul ou inopposable.
La nullité est la sanction de l’invalidité d’un acte juridique, de sorte que celui-ci est réputé n’avoir jamais existé, alors que l’inopposabilité laisse subsister le contrat mais prive celui-ci d’effet juridique à l’égard des tiers, personnes non-signataires.
En l’espèce, comme le rappelle la Cour d’appel de Nîmes, le contrat avait été signé par la SCI N. et Monsieur M.
Dès lors que la SCI N. contestait la validité du contrat en nom des signataires, la Cour prononce la nullité du contrat de commodat à titre de sanction.
Le jugement qui a rejeté la demande visant à voir déclarer non valable le contrat de commodat est infirmé, et par suite de l’annulation rétroactive du commodat, Monsieur M. se trouve occupant sans droit ni titre de la partie habitation de la SCI N. depuis le 15 septembre 2013, et redevable d’une indemnité en contrepartie de son occupation des lieux.
Un commodat annulé est-il égal à la fixation d’une indemnité d’occupation ?
Pour fixer le montant de cette indemnité, la Cour d’appel se réfère aux attestations de valeur locative produites par les parties, et d’autre part de tenir compte d’autres éléments, tenant notamment au caractère précaire de l’occupation des lieux par Monsieur M. qui ne bénéficie pas d’un statut protecteur comme un locataire.
La Cour considérant que l’appartement étant ainsi décrit comme un appartement T7 de 450 m2, composé d’un séjour de 80 m2, d’une cuisine équipée de 30 m2, de 6 chambres, 3 salles de bain, salle de sport, dressing, piscine couverte, dépendance, garage sur une parcelle de terrain de 2 000 à 2 500 m2 clos.
La Cour considérant que le caractère précaire de l’occupation par Monsieur M., qui ne bénéficie pas d’un statut protecteur, et qui en outre héberge depuis la séparation du couple d’associés les enfants du couple, ainsi qu’il résulte du jugement du divorce, justifie d’appliquer un abattement de 40 % sur la moyenne de la valeur locative, fixant ainsi sur la base des estimations immobilières réduites à 40 % une indemnité mensuelle de 1 500 € pour l’occupation des 1er et 2èmeétages de l’immeuble de la SCI N.
Cette indemnité pour la Cour d’appel de Nîmes étant exigible à compter du 1er octobre 2012 jusqu’à la libération complète et parfaite des lieux.
L’argumentation de la Cour d’appel de Nîmes est critiquable et mérite à mon sens un pourvoi.
Le sort des époux achetant leur domicile conjugal en SCI
En effet, la construction d’un couple à travers l’acquisition soit en union libre, ou marié sous le régime de la séparation de biens et qui en parallèle acquiert un bien par le biais d’une SCI est monnaie courante.
La spécificité particulière de cette affaire est que nous sommes en présence, non pas de deux associés ex-époux avec une répartition des parts à 50/50, mais effectivement dans un cas un peu particulier où les associés sont porteurs de parts avec Madame à 99 % et Monsieur à 1 %.
Un commodat justifié par l’intérêt familial
Toujours est-il qu’à mon sens, la mise en place d’un commodat au profit de Monsieur qui occupe le bien, alors même que, dans le cadre de la procédure de divorce, celui-ci a obtenu la garde exclusive de ses enfants, justifie de la mise en place de ce prêt à usage dans lequel Monsieur occupe le bien de la SCI.
Une question se pose à travers cette analyse, à savoir la pertinence du commodat au sein de la SCI ?
Un commodat compatible avec les statuts de la SCI ?
En effet, rien dans les statuts de la SCI, que l’on peut considérer comme SCI familiale, n’empêche l’occupation gratuite par l’un des associés du bien, propriété de la SCI en question.
Ceci est d’autant plus vrai qu’en présence d’une SCI familiale, la jurisprudence de la Cour de cassation est venue à plusieurs reprises confirmer qu’il n’était pas contraire à l’intérêt social que l’un des associés occupe le bien, et dans la mesure où les statuts ne prévoient absolument rien quant à l’occupation gratuite ou payante du bien, l’occupation gratuite du bien par l’un des associés ex-époux n’est donc pas contraire à l’intérêt social de la SCI.
Par voie de conséquence, la question se pose de savoir si oui ou non, la mise en place d’un commodat était finalement obligatoire, alors que cela n’était pas forcément le cas, rien n’empêchant la création de ce commodat.
Le commodat est un prêt à usage, est-il à durée déterminée ?
Dans cette affaire, il était question d’un prêt à usage à titre gratuit et à durée déterminée, sur une période de 20 ans, et rien n’empêchait donc Monsieur M. en qualité de gérant, fusse-t-il minoritaire à 1 % de la SCI, de conclure un commodat avec lui-même.
Ceci d’autant plus que l’occupation gratuite du bien par l’un des associés ex-époux n’est pas contraire à l’intérêt social.
Mais plus encore lorsque l’on sait que les statuts ne faisaient aucune interdiction à l’occupation gratuite par l’un des associés de la SCI en question.
Un commodat compatible avec les statuts de SCI ?
Or, lorsque l’on s’intéresse aux statuts de la SCI, et plus particulièrement aux pouvoirs du gérant à l’encontre des associés, là encore, rien n’oblige le gérant d’envisager une Assemblée Générale entre des associés pour statuer sur la mise à disposition gratuite du bien au profit de l’un des associés.
Par voie de conséquence, à mon sens le commodat n’était pas un impératif en soi, mais tant bien même, celui-ci est parfaitement valable car premièrement, il n’est pas contraire à l’intérêt social de la SCI familiale, et deuxièmement, la jurisprudence vient justement consacrer l’idée suivant laquelle l’occupation gratuite par l’un des ex-époux associés de la SCI familiale n’est pas contraire à son intérêt social.
Dans la mesure où les statuts n’interdisent pas expressément une occupation gratuite, dans la mesure où les statuts n’obligent pas le gérant, pour la mise en place d’un commodat, à une Assemblée Générale préalable, rien n’empêchait donc le gérant, fusse-t-il minoritaire, de convenir de cette occupation gratuite.
Un commodat pouvant être signé par le gérant même minoritaire
Dès lors, à bien y comprendre, rien n’empêchait Monsieur M. de conclure ce commodat, de telle sorte qu’à mon sens la Cour d’appel n’avait pas vocation à annuler ce commodat et encore moins à faire rétroagir à 2012 une quelconque indemnité d’occupation payante au profit de Monsieur M.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient aborder la question spécifique de la mise en place d’un commodat, ce qui est assez rare, au sein d’une SCI familiale, dans le cadre d’une procédure de divorce où l’un des associés décide d’occuper le bien gratuitement.
Le commodat au sein d’une SCI familiale, qui gagne, qui perd ?
Premièrement, cette jurisprudence est aussi intéressante à plus d’un titre car, tant bien même Monsieur M. serait associé minoritaire à seulement 1 % des parts de la SCI, il n’en demeure pas moins que celui-ci a comblé bien souvent le compte bancaire de la SCI pour faire face aux engagements bancaires, et dès lors, celui-ci a vu naître à son profit une créance de compte courant associé importante, de près de 400 000 €.
Deuxièmement, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient s’intéresser à l’occupation gratuite par l’un des associés ex-époux de cette SCI familiale, lorsque l’un des deux époux occupe le bien.
L’occupation gratuite par un des époux du bien familial acquis en SCI ?
La question se pose alors de savoir si oui ou non cette occupation gratuite est contraire à l’intérêt social de la SCI, alors que nous sommes en présence d’une SCI familiale et que, du fait de cette spécificité, rien n’interdit l’occupation gratuite comme n’étant pas contraire à l’intérêt social de la SCI en question.
Enfin, troisièmement, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient finalement consacrer l’idée de la mise en place du commodat par le gérant minoritaire à son seul profit et au profit de ses enfants pour justement entériner l’idée même d’une occupation gratuite du bien.
A mon sens, le commodat est valable car non seulement il n’est pas contraire à l’intérêt social de la SCI familiale, mais surtout, rien dans les statuts ne prévoyait une validation par Assemblée Générale des associés de ce prêt à usage gratuit, qui n’est pas un acte à titre onéreux ?
Dès lors, force est de constater que le montage qui consiste pour des époux, fussent-ils séparés de bien ou même mariés sous le régime de la communauté, d’acquérir un bien par le truchement d’une SCI familiale génère un certain nombre de problématiques qui ne sont malheureusement pas tranchées, au stade de la procédure de divorce, par le Juge aux Affaires Familiales dans le cadre de la procédure de divorce, puisqu’effectivement, le sort de la SCI et des droits des associés au sein de cette dernière n’est pas de la compétence du Juge aux Affaires Familiales.
Le sort des associés de la SCI distinct du sort des époux
Pour autant, cela génère une véritable problématique puisque si le Juge aux Affaires Familiales n’est pas compétent il convient d’aborder ces questions par la suite, et bien souvent ce « par la suite » s’inscrit dans une durée parfois longue de plusieurs années où l’un des ex-époux occupe le bien à titre gratuit, et n’entend pas faire face à quelque obligation financière que ce soit à ce titre , et de l’autre, d’un ex-époux associé n’occupant pas le bien qui a le sentiment d’être évincé et qui tente par tout moyen, sinon de récupérer le bien, au moins de faire partir l’ex-époux et de procéder à la vente du bien en question, mettant ainsi fin aux intérêts communs d’un divorce déjà consommé, parfois depuis plusieurs années.
Cette jurisprudence entre associés d’une SCI familiale, entre occupation gratuite et entre contrat de commodat, vient rappeler que les intérêts patrimoniaux des ex-époux dans le cadre d’un divorce sont tout aussi importants que le sort des enfants et génèrent des problématiques techniques, qui sont malheureusement bien souvent abordées après la décision du Juge aux Affaires Familiales.
Il faut donc anticiper ces difficultés et les préparer au mieux, autant que faire se peut, afin d’éviter un enlisement parfois préjudiciable sur plusieurs années de procédure.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,