Décès du débiteur en liquidation judiciaire, quid de la déclaration notariée d’insaisissabilité?

Publié le 16/09/2023 Vu 1 036 fois 0
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En cas de décès du chef d’entreprise, débiteur en liquidation judiciaire, quel sort est réservé à la déclaration notariée d’insaisissabilité ? Survit-elle au décès du dirigeant ?

En cas de décès du chef d’entreprise, débiteur en liquidation judiciaire, quel sort est réservé à la d

Décès du débiteur en liquidation judiciaire, quid de la déclaration notariée d’insaisissabilité?

Il convient de s’intéresser à une réflexion qui a été portée concernant l’hypothèse où un chef d’entreprise a, en son temps, procédé à la déclaration notariée d’insaisissabilité de son bien immobilier, de sa résidence principale, qu’il a conclu avant le redressement judiciaire et sa liquidation judiciaire, sachant que celui-ci est décédé par la suite.

Cela génère un certain nombre de questions car, effectivement, on peut se poser la question de savoir si les héritiers du défunt, entrepreneurs en liquidation judiciaire, ont vocation à supporter l’ensemble des dettes inscrites au passif de la liquidation judiciaire ou convient-il de dissocier, au sein de ce passif de procédure collective, des créances professionnelles et des créances personnelles et que doit-on faire des dettes personnelles qui sont considérées comme passif de succession ?

Les dettes personnelles doivent-elles figurer dans le passif de la succession en écartant celles de la procédure collective ?

Quel sort de la déclaration notariée d’insaisissabilité en cas de décès du dirigeant ? 

La question est de savoir quels sont les effets, en cas de décès de cet entrepreneur, de la déclaration notariée d’insaisissabilité sur sa résidence principale, signée avant le redressement judiciaire du défunt, en l’espèce, en 2012.

La question qui se pose est de savoir si celle-ci demeure opposable aux créanciers de la liquidation judiciaire - pour ma part, mon sentiment est bien sûr que oui – et de savoir si celle-ci est opposable aux créanciers personnels.

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire, un chef d’entreprise, Monsieur C. a pris soin de procéder à une déclaration notariée d’insaisissabilité au profit de sa résidence principale alors qu’il exerçait en nom personnel, une activité de gardiennage dans le Var.

Monsieur C., propriétaire d’une belle résidence du Golf de Saint-Tropez, y avait fait inscrire une déclaration notariée d’insaisissabilité le 29 novembre 2012, publiée juste ensuite au service de la publicité foncière de Draguignan en décembre 2012, soit près de trois ans avant l’ouverture de la procédure collective.

En effet, Monsieur C., qui avait une activité de gardiennage, a fait l’objet d’un jugement de redressement puis de liquidation judiciaire qui a été prononcée par le Tribunal de Commerce en septembre 2015.

Rappelons, en tant que de besoin, que le passif de la procédure collective déclaré entre les mains du mandataire liquidateur est de la somme de 2 348 268,18 €.

Ce qui n’est pas rien….

En l’état du prononcé de la liquidation judiciaire et en l’état d’un passif déclaré relativement important, le mandataire liquidateur a procédé à un certain nombre d’actions.

Premièrement, il a engagé une action pour laquelle le débiteur n’a pas cru bon se défendre car il n’avait pas, à mon sens, appréhendé à sa juste mesure les risques liés à cette action.

L’action en report de la date de cessation des paiements

Le mandataire judiciaire a engagé une action en report de la date de cessation des paiements et c’est dans ces circonstances que, par jugement du Tribunal du Commerce en date du 6 juin 2016, la date de cessation de paiement de Monsieur C., mis en liquidation judiciaire selon jugement du 7 septembre 2015, avait été reportée au 8 décembre 2013.

Forte heureusement, nous sommes encore bien au-dessus de la date à laquelle la déclaration d’insaisissabilité avait été réalisée par le débiteur en application de l’article L.526-1 du Code du Commerce, de telle sorte que le mandataire liquidateur ne pouvait raisonnablement envisager d’obtenir un report de la date de cessation des paiements, l’annulation ou l’inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité.

Cela n’a pas empêché le mandataire liquidateur d’envisager une deuxième action afin d’obtenir l’inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité. 

Action en inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité

N’ayant pas réussi à appréhender l’actif par le biais de la procédure de report de la date de cessation des paiements afin d’obtenir l’inopposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité, le mandataire liquidateur assigne, dans un deuxième temps, devant le Tribunal Judiciaire, aux fins de solliciter l’inopposabilité à la liquidation judiciaire de la déclaration notariée d’insaisissabilité. 

Il s’agit de la traditionnelle action paulienne

Le mandataire liquidateur a fondé son action au visa de l’article 1167 ancien du Code Civil, applicable en l’espèce, en faisant valoir que l’action en inopposabilité qui n’est pas une action de la procédure collective relève de la compétence du Tribunal de Grande Instance. 

Il soutient que cette déclaration d’inopposabilité a été prise en fraude des droits des créanciers eu égard au passif existant, avant et postérieurement à sa souscription.

C’est ainsi que par jugement en date du 5 septembre 2019, le Tribunal Judiciaire a considéré qu’il y avait matière à déclarer la déclaration d’insaisissabilité souscrite par Monsieur C., inopposable à la liquidation judiciaire.

En effet, selon l’article 1167 ancien, appliqué en l’espèce, les créanciers peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actifs faits par les débiteurs en fraude de leurs droits. 

L’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité en fraude des droits des créanciers

En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le passif de Monsieur C. s’élevait à 2 348 268 € au jour de la liquidation judiciaire, le mandataire liquidateur précisant qu’eu égard à la faiblesse des recouvrements effectués, l’insuffisance d’actif s’élève à « la modique somme » de 2 300 000 €.

Passif décortiqué faisant, il ressort des circonstances de la cause que le jour où la déclaration notariée d’insaisissabilité a été souscrite, la dette de Monsieur C. s’élevait déjà à 1 000 000 € à titre de créance de RSI, d’URSSAF et de Trésor Public.

Le Tribunal considérant, par voie de conséquence, que Monsieur C. ne pouvait donc ignorer qu’il se trouvait en état d’insolvabilité lors de la souscription de la déclaration, ce qui ne l’a pas empêché d’augmenter postérieurement son passif de plus de 1 300 000 €.

Dans ces conditions, en soustrayant les droits de propriété sur son immeuble au gage des créanciers à venir, le Tribunal Judiciaire a considéré qu’une intention frauduleuse était caractérisée de telle sorte que c’est dans ces circonstances que le Tribunal Judiciaire a prononcé l’inopposabilité à la liquidation judiciaire de la déclaration notariée d’insaisissabilité.

C’est dans ces circonstances qu’un appel a été interjeté et que pendant l’appel, malheureusement, Monsieur C. est décédé.

Le décès du chef d’entreprise en cours de procédure

Il s’est alors posé la question de savoir si ses ayants-droits avaient vocation à bénéficier de la déclaration notariée d’insaisissabilité ou si celle-ci s’effondrait du seul fait du décès et de la liquidation judiciaire du débiteur.

Rappelons que l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire est, selon une jurisprudence constante, notamment Cour de Cassation, Chambre Commerciale 24 mars 2015, n°14-10175, une déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée avant l’ouverture d’une procédure collective lui est opposable, de sorte que l’immeuble déclaré insaisissable est hors procédure.

La survie de la déclaration notariée d’insaisissabilité au décès de son bénéficiaire

Toutefois, l’insaisissabilité ne saurait être définitive, ses effets sont limités dans le temps.

En effet, l’article L.526-3 du Code du Commerce énumère les cas pour lesquels l’insaisissabilité a vocation à cesser, parmi ces cas, le décès.

Les effets des insaisissabilités subsistent également en cas de décès de la personne mentionnée au premier alinéa dudit article L.526-1 ou du déclarant mentionné au deuxième alinéa du même article L.5626-1 jusqu’à la liquidation de la succession, ce qui soutent que le décès en lui-même n’est pas un élément qui a vocation à faire s’effondrer juridiquement la déclaration d’insaisissabilité qui survit et qui subsiste au décès du débiteur.

Cependant, il est bien évident que la notion de liquidation de la succession peut être sujette à interprétation.

Dans un article paru dans les cahiers du Cridon de Lyon, une solution avait été apportée en ces termes : « Il y a certes une liquidation fiscale de la succession dans la déclaration de cession mais cette interprétation reviendrait à dire que l’insaisissabilité subsisterait jusqu’au dépôt de cette déclaration à l’administration fiscale qui doit intervenir dans les 6 mois à compter du décès ».

A mon sens, l’esprit de la Loi n’est pas de faire subsister l’insaisissabilité jusqu’à la déclaration de succession qui n’est que fiscale, mais jusqu’à la clôture de la succession, c’est-à-dire, jusqu’au partage successoral, ce qui laisse donc à penser que celle-ci survit tant que la succession n’est pas terminée.

Dès lors, tant que l’immeuble qui est affecté à la résidence principale de l’entrepreneur décédé n’est pas partagé entre ses héritiers, les effets de l’insaisissabilité légale doivent subsister. 

Et cette insaisissabilité est alors opposable à la procédure collective et à ses organes.

Cela empêcherait par la même, tant que le bien n’est pas partagé, et la succession clôturée, le liquidateur ne pourrait donc pas appréhender le bien qui consisterait à la résidence principale du débiteur et serait alors contraint de solliciter la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, sauf à ce qui celui-ci, de manière extrêmement pernicieuse, se refuse à clôturer en attendant que la succession se clôture. 

Il convient de le rappeler, l’esprit de la Loi est quand même que la liquidation judiciaire soit clôturée le plus rapidement possible.

Se pose alors la question de l’articulation des règles de la succession avec celles de la liquidation judiciaire.

Succession vs liquidation judiciaire, quelle articulation ? 

Les héritiers du chef d’entreprise décédé, lequel est décédé au cours de la liquidation judiciaire, sont naturellement amenés à opter pour l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net pour ne pas être tenu sur leur patrimoine personnel et peuvent percevoir, éventuellement, un boni de liquidation judiciaire en cas de clôture pour insuffisance d’actifs qui viendrait purger les créances professionnelles laissant, à la seule charge de la succession, les dettes personnelles qui ont été déclarées en son sein.

Il est vrai que le législateur n’a pas pris soin d’articuler les règles de la procédure collective avec les règles successorales, notamment en cas d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net. 

Pour autant, la combinaison entre le Code Civil et le Droit de l’entreprise en difficulté permet de faire subsister les effets de la déclaration notariée d’insaisissabilité jusqu’à la clôture de la liquidation judiciaire dès lors que la phase successorale n’est pas terminée, permettant ainsi aux héritiers d’accepter la succession à hauteur de l’actif net en ne faisant supporter par la succession que les créanciers personnels, les créanciers professionnels de ce dernier étant purgés dans le cadre de la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.

Un créancier de la procédure collective doit-il déclarer à la succession ? 

Aucun texte ne dispense les créanciers ayant d’ores et déjà déclaré leurs créances à la procédure collective d’avoir à le faire à nouveau dans le cadre de la phase successorale, conformément aux prescriptions de l’article 792 du Code Civil, de telle sorte que la circonstance que les créances sont admises au passif de la procédure collective doivent être tenues pour indifférentes.

Dans le cadre de la succession, elles n’ont pas vocation à être prises en considération.

Il faut alors que les créanciers déclarent à nouveau leurs créances auprès du notaire dans le délai de 15 mois, tel que le rappelle l’article 792 du Code Civil.

Partant, le passif de la procédure successorale doit être donc composé des créances déclarées à la procédure ainsi que celles non déclarées ou alors celles qui sont dispensées de déclaration, notamment les créances salariales et alimentaires comme le rappelle l’article L.122-24 du Code du Commerce.

Si la résidence principale déclarée insaisissable est susceptible d’échapper à l’effet réel de la procédure, elle ne pourra pas, en revanche, être soustraite du droit du gage des créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable et dont la créance n’est pas prescrite.

Des créanciers personnels présents dans la succession

Il s’agit donc bel et bien des créanciers personnels qui auraient vocation à pouvoir s’attaquer aux biens, à la résidence principale et ce, au détriment des créanciers professionnels qui ne le peuvent pas.

En effet, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent après sa publication, comme le rappelle l’article L.126-1 alinéa du Code du Commerce, de telle sorte qu’une lecture, a contrario, laisse bien à penser que les créanciers personnels du chef d’entreprise décédé, peu importe la date de naissance de la créance, ainsi que des créanciers professionnels dont les droits sont nés antérieurement à la publication de la déclaration au fichier immobilier, ne peuvent se voir opposer les effets de la déclaration d’insaisissabilité.

Par voie de conséquence, cela signifie que les héritiers peuvent accepter la succession à hauteur de l’actif net et n’auront à supporter, dans le cadre de la succession, que les créanciers personnels et que les éventuels créanciers antérieurs à la déclaration notariée d’insaisissabilité.

Des héritiers acceptant la succession à hauteur de l’actif net

La difficulté procédurale s’ajoutant et que dans la mesure où le chef d’entreprise est décédé alors que l’appel du jugement ayant prononcé l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité est toujours en cours, cela soutent qu’il appartient aux héritiers de prendre position au niveau successoral afin de pouvoir terminer la procédure à hauteur de Cour.

Dès lors, de deux choses l’une, 

Soit la Cour d’Appel, vient déclarer cette inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité et, à ce moment-là, le mandataire liquidateur pourra appréhender le bien, 

Soit la Cour réforme le jugement et vient confirmer la validité de la déclaration notariée d’insaisissabilité et le mandataire liquidateur ne pourra donc pas réaliser l’actif immobilier, celui-ci intervenant dans l’intérêt collectif de l’ensemble des créanciers.

En cas de clôture de la liquidation judiciaire, seuls les créanciers personnels de Monsieur C. pourront alors déclarer à la succession que les héritiers ont accepté à hauteur de la concurrence nette.

Ainsi, en déclarant accepter la succession à concurrence de l’actif net et en établissant l’inventaire, les héritiers et, singulièrement, celui d’entre eux qui serait attributaire de la maison, n’auront pas à subir le recours des créanciers du défunt au-delà de ce qu’ils auront recueilli d’actif.

Tel est ainsi l’imbrication que l’on peut avoir entre droit civil de la succession et droit commercial de l’entreprise en difficulté lorsqu’un chef d’entreprise décède en pleine liquidation judiciaire et que la déclaration notariée d’insaisissabilité est contestée par ailleurs par le mandataire liquidateur et ce, au motif pris d’un passif déclaré au sein de la liquidation judiciaire important, aussi bien composé de créances professionnelles que de créances personnelles.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit, 

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

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