Un mandataire liquidateur procède à une saisie conservatoire entre ses propres mains de fonds devant pourtant revenir au dirigeant. Par la suite le dirigeant sollicite la restitution de ses fonds mais apprends que le mandataire liquidateur a inopinément versé cet argent à l’UNEDIC au titre du super privilège des salaires. Le mandataire liquidateur, fautif, peut-il obtenir le remboursement ? Engage t’il sa responsabilité ?
Article :
Il convient de s’intéresser, une fois n’est pas coutume, à un jugement qui a été rendu par le Tribunal de commerce de Fréjus ce 08 juillet 2024, N°RG 2022003685 et qui vient aborder la problématique particulière du sort de fonds qui ont été encaissés par le Mandataire liquidateur, qui ont été, par la suite, redistribués à l’ensemble des créanciers, et pour lequel le Mandataire liquidateur a commis une erreur de distribution.
Cette jurisprudence est d’autant plus intéressante qu’elle est rattachée à plusieurs chroniques effectuées par votre serviteur concernant les problématiques de comptes-courant associés débiteurs pour lesquels le Mandataire liquidateur avait effectivement envisagé des actions en responsabilités.
En effet, un rappel des faits s’impose dans cette affaire qui va opposer l’UNEDIC AGS au Mandataire liquidateur et au débiteur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, suivant jugement du Tribunal de commerce de Fréjus en date du 20 avril 2015, la société A avait bénéficié de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire suivant jugement en date du 22 juin 2015.
Maître X ayant été désigné Mandataire liquidateur de la société A.
Dans le cadre de cette procédure, l’UNEDIC (délégation AGS, UNEDIC AGS) a avancé pour le compte des salariés de cette entreprise la somme globale de 194 639.79 € dont 113 686.03 € à titre super privilégié.
Au titre des opérations de liquidation judiciaire, et au mieux de ce qu’il lui permettait des fonds entre ses Maître X, Mandataire liquidateur, a adressé à l’UNEDIC AGS la somme de 65 000.00 € au titre de sa créance super privilégiée.
Le super privilège des salaires remboursé en premier
Cette trésorerie avait été constituée notamment à hauteur de 19 877.00 € sur une somme versée le 27 avril 2016 par erreur entre les mains du liquidateur par le Trésor Public alors même que celui-ci devait revenir, à titre personnel, au dirigeant de la société s’agissant d’un simple remboursement de son impôt sur le revenu.
Pour autant, Maître X, à la réception de ces 19 877.00 € en son temps, soit, en 2016, avait toutefois, sur autorisation du Président du Tribunal de commerce de la faillite, saisi à titre conservatoire cette somme entre ses propres mains à la sûreté du paiement des sommes qui réciproquement lui seraient dues par ledit gérant au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif.
Une saisie conservatoire du mandataire liquidateur sur ses propres fonds
C’est ainsi que cette action en responsabilité pour insuffisance d’actif avait d’ailleurs fait l’objet de deux publications de votre serviteur, notamment à hauteur de Cour d’appel, puis, à hauteur de Cour de cassation.
L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif
En effet, celle-ci posait la problématique toute particulière du sort de comptes-courant associés débiteurs d’une société.
En effet, si le Tribunal de commerce de Fréjus avait, dans un premier temps, effectivement condamné les dirigeants par jugement du 17 juillet 2017 à payer à ce titre une somme de 133 698.00 € entre les mains du mandataire liquidateur, la Cour d’appel d’Aix en Provence avait en suite, par arrêt du 16 janvier 2020, infirmée ledit jugement et débouté Maître X de toutes ses demandes dirigées contre le dirigeant.
Un pourvoi en cassation avait été fait mais, par ordonnance de rejet, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi du mandataire liquidateur.
La restitution des fonds saisis à tort par le mandataire liquidateur
Il appartenait par conséquent au mandataire liquidateur de restituer à Monsieur P, le dirigeant de la société A, la somme de 19 877.00 € qu’il avait fait saisir entre ses propres mains et qu’il avait, avec les autres sommes en sa possession, adressé à tort à l’UNEDIC AGS avant le paiement des créanciers inscrits.
En effet, tout laisser à penser que l’un des collaborateurs du mandataire avait oublié cette saisie conservatoire faite par le mandataire liquidateur entre ses propres mains et avait donc libéré à tort l’ensemble des fonds, en ce compris les 19 877.00 € entre les mains de l’UNEDIC AGS.
Tout laisser à penser que, de par une simple demande de répétition de l’indu d’une somme qu’il n’aurait pas dû percevoir, l’AGS aurait restitué les fonds à première demande.
Il n’en est strictement rien.
Une répétition de l’indu impossible ?
C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a assigné l’AGS aux fins de répétition de l’indu de cette somme de 19 877.00 € et le dirigeant, parfaitement informé de la situation car ce dernier souhaitait récupérer son argent ce qui peut parfaitement se comprendre, a également pris soin d’intervenir volontairement à la procédure en considérant que de deux choses l’une,
- Soit, l’AGS restituait au mandataire liquidateur la somme de 19 877.00 €, à charge pour le mandataire liquidateur de lui restituer les fonds qui étaient les siens,
- Soit, le mandataire liquidateur ne les récupérait pas et ce dernier avait clairement commis une faute professionnelle engageant sa responsabilité personnelle et, à ce moment-là, c’était au mandataire judiciaire de rembourser sur ses deniers personnels la somme de 19 877.00 €.
Ainsi, dans le cadre de la procédure, le mandataire liquidateur se fondait sur les dispositions des articles L 625-8, L 122-17 et L 641-13 du Code du commerce ainsi que de l’article 1103 du Code civil pour demander à l’UNEDIC de reverser la somme de 19 877.00 € entre ses propres mains pour qu’il puisse les verser au débiteur.
L’UNEDIC, quant à elle, évoquait les articles 1342 et 1302 du Code civil ainsi que les articles L 625-8 du Code du commerce pour soutenir l’irrecevabilité des demandes présentées par le mandataire liquidateur.
Ainsi, il convient de rappeler les dispositions de l’article 1342 du Code civil,
« Le paiement est l'exécution volontaire de la prestation due.
Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.
Il libère le débiteur à l'égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi ou le contrat prévoit une subrogation dans les droits du créancier. »
L’article 3253-16 du Code du travail dispose,
« Les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances :
1° Pour l'ensemble des créances, lors d'une procédure de sauvegarde ;
2° Pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Les autres sommes avancées dans le cadre de ces procédures leur sont remboursées dans les conditions prévues par les dispositions du livre VI du code de commerce pour le règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure. Elles bénéficient alors des privilèges attachés à celle-ci. »
Ainsi, il ressort de la combinaison de ces deux articles que l’UNEDIC AGS est totalement subrogée dans les droits des salariés pour lesquels elle a réalisé des avances pour les créances super privilégiées lors d’une procédure de liquidation judiciaire.
L’article L 625-8 du Code du commerce précise enfin que les créances super privilégiés doivent donc être acquittées sur les premières rentrées de fonds.
Le paiement préférentiel du super privilège des salaires
En l’espèce, l’UNEDIC a avancé pour le compte des salariés la somme globale de 194 639.79 €, dont 113 686.03 € à titre super privilégié.
Aux regards des dispositions de l’article L 3253-16 du Code du travail, l’UNEDIC AGS est ainsi totalement subrogé dans les droits des salariés pour lesquels elle a réalisé ces avances.
Dès lors, et comme le précise l’article L 625-8, le liquidateur a l’obligation de rembourser cette créance super privilégiée sur les premières rentrées de fonds.
C’est ce qu’a fait le mandataire liquidateur qui a payé cette créance super privilégiée à hauteur de 65 000.00 €, 30 000.00 € en date du 05 novembre 2016, 20 000.00 € en date du 17 août 2018 et 15 000.00 € en date du 06 septembre 2018.
Au motif que la dette est parfaitement causée et qu’un paiement volontaire est alors définitif, l’UNEDIC considère que la demande de remboursement du mandataire liquidateur est irrecevable.
Une créance de super privilège causée et un paiement volontaire
De son côté, le mandataire liquidateur relève que, suite à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence qui la déboute de son action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre du dirigeant de cette société, une partie des fonds qu’elle a versé à l’UNEDIC n’entrait pas dans le cadre de la liquidation et devait donc être restitué au dirigeant.
De telle sorte qu’il y avait lieu de déclarer le mandataire liquidateur recevable dans ses demandes.
Toutefois, le Tribunal de commerce reprend l’argumentation du mandataire liquidateur qui demande le remboursement de la somme de 19 877.00 € qu’elle a versé au titre de sa créance super privilégiée au motif qu’elle était indisponible.
Le mandataire lui explique que le Trésor lui a adressé cette somme par erreur en date du 27 avril 2016 alors même qu’elle revenait à Monsieur P, gérant de la société A, s’agissant du remboursement d’un trop-perçu sur son impôt sur le revenu.
À titre conservatoire et sur autorisation du Tribunal de commerce de Fréjus, le mandataire liquidateur a saisi cette somme entre ses propres mains à la sûreté du paiement des sommes qui, réciproquement, lui seraient dues par ledit gérant au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif.
Or, comme nous l’avons déjà évoqué, si dans un premier temps le Tribunal a effectivement condamné Monsieur P à payer à ce titre la somme de 133 968.00 € entre les mains du mandataire liquidateur suivant jugement du 17 juillet 2017, la Cour d’appel d’Aix en Provence a, dans un arrêt du 16 janvier 2020, infirmé ledit jugement et débouté le mandataire liquidateur de ses demandes dirigées contre Monsieur P.
Si il est incontestable que le mandataire liquidateur a versé 65 000.00 € à l’UNEDIC, il l’a fait pour désintéresser une créance super privilégiée de 113 686.03 € sur les fonds dont il disposait et ce, conformément aux dispositions des articles L 3253-16 du Code du travail et L625-8 du Code du commerce.
À l’appui de sa demande, le mandataire liquidateur se fonde sur les dispositions des articles L 625-8, L 622-17, L 641-13 du Code du commerce et sur l’article 1103 du Code civil.
Mais, pour le Tribunal de commerce de Fréjus, aucun de ces articles ne prévoient le remboursement d’une somme versée volontairement alors qu’elle n’entrait pas dans l’actif de la procédure.
L’impossible remboursement d’une somme versée volontairement par le mandataire
Dès lors, le Tribunal prend acte de ce que le mandataire liquidateur soutient que la récupération du super privilège des salaires cède devant le paiement des créances dont font partie les émoluments et honoraires des AJMJ et ceux des intervenants de procédure.
Il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, des frais de justice ont bien été payés à l’échéance et il est important de souligner que la demande de remboursement du mandataire liquidateur ne tinet pas au paiement d’une créance déclarée dans le cadre de la liquidation judiciaire mais d’une représentation de fonds qui n’étaient pas disponibles entre ses mains.
De telle sorte que le Tribunal de commerce considère qu’il ne peut être sollicité la restitution du paiement d’une créance super privilégiée en dehors des dispositions de l’article L 643-7-1 du Code du commerce prévoyant une restitution exclusivement à la suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges.
Une restitution possible en cas d’erreur dans l’ordre des privilèges
De telle sorte que la demande de répétition du liquidateur n’est pas une erreur sur l’ordre des privilèges mais sur le fait qu’il a versé au créancier des fonds qu’il aurait dû conserver dans l’attente de l’issue de l’action en responsabilité et de l’obtention d’une décision irrévocable.
Le Tribunal de commerce considère alors que le mandataire liquidateur a finalement manqué de prudence en reversant à l’AGS la somme de 19 877.00 € qu’elle avait autorisé à saisir entre ses mains à titre conservatoire par le même Tribunal sans attendre l’issue complète de la procédure et l’épuisement de tous les recours.
Dès lors, le Tribunal de commerce souligne encore que le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve de ce que cette somme de 19 877.00 € a été utilisée pour payer l’AGS alors que durant cette procédure de liquidation elle a également réglé des frais de justice avant l’échéance pour un montant total de 23 285.71 €.
En conséquence, le Tribunal de commerce fait le choix de débouter le mandataire liquidateur de sa demande de remboursement de la somme de 19 877.00 € à l’encontre de l’AGS.
Cependant, restait encore un point en suspens.
Celui de la demande de remboursement de Monsieur P.
En effet, il convient de rappeler une fois de plus que le mandataire liquidateur avait été destinataire par erreur d’un versement par le Trésor Public d’une somme de 19 877.00 €, qui ne revenait pas à la société A dont il était gérant mais revenait à Monsieur P directement entre ses mains puisqu’il ne s’agissait que d’un remboursement de son impôt sur le revenu.
Il est vrai que la réception de ces fonds entre les mains du mandataire liquidateur l’avait motivé à engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif contre le dirigeant et, pour garantir le versement de cette somme de 19 877.00 € entre ses mains, avait pris soin de procéder à une saisie conservatoire entre ses propres mains.
Dès lors, le chemin procédural est, en l’état de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence rendu le 16 juin 2020 et de l’ordonnance de rejet de la Cour de cassation, que le mandataire liquidateur avait été débouté de toutes ses demandes dirigées contre Monsieur P.
Il appartenait dès lors au mandataire liquidateur de restituer à Monsieur P la somme de 19 877.00 € qu’il avait fait saisir entre ses mains.
C’est dans ces circonstances que, si le Tribunal de commerce déboute le mandataire liquidateur de sa demande de restitution de fonds à l’encontre de l’AGS, il n’en demeure pas moins qu’elle condamne, dans la même procédure, le mandataire liquidateur à payer au dirigeant la somme 19 877.00 € qu’il a fait saisir entre ses propres mains et qu’il s’est libéré à tort au profit d’un créancier.
La responsabilité du mandataire liquidateur qui doit payer le débiteur saisi ?
Ainsi, immanquablement cette décision est intéressante nonobstant l’appel qui a été frappé récemment de cette décision et qui va nous ouvrir d’autres perspectives procédurales, vu l’histoire fleuve de ce dossier, immanquablement une autre chronique.
Mais, cette jurisprudence est intéressante parce qu’elle vient clairement mettre en exergue le paradoxe de la procédure.
Ainsi, il convient d’apporter plusieurs observations pertinentes.
La première des observations est que je pense que, dans cette affaire, on peut aisément se servir de l’adage « Qui est pris qui croyait prendre ».
En effet, dans cette affaire, le mandataire liquidateur avait reçu des fonds à tort, qui revenaient directement entre les mains du dirigeant et ce dernier les avait reçus à tort, l’administration fiscale ayant fait une erreur et ayant transféré les fonds entre les mains du mandataire liquidateur.
Ce dernier cherchant à capter cette somme versée à tort entre ses mains, a alors fait une saisie conservatoire entre ses propres mains puis enclenché une action en responsabilité pour insuffisance d’actif contre son dirigeant.
Si dans un premier temps le dirigeant avait été condamné à payer la somme de 133 968.00 €, la Cour d’appel d’Aix en Provence a, par la suite confirmé par la Cour de cassation, débouté le mandataire liquidateur de l’ensemble de ses prétentions.
C’est donc à juste titre que finalement le dirigeant s’est retourné, par le truchement de son conseil, entre les mains du mandataire liquidateur pour pouvoir récupérer les fonds indûment conservés entre ses mains.
Telle n’a pas été la surprise du dirigeant d’apprendre que finalement le mandataire liquidateur avait commis, lui-même, une erreur en libérant les fonds au profit de l’AGS alors que ces fonds étaient initialement indisponibles de par les faits de la saisie conservatoire.
Le liquidé engageant la responsabilité du mandataire liquidateur
C’est dans ces circonstances que, tant bien même le mandataire liquidateur a cru bon engager une action contre l’UNEDIC devant le Tribunal de commerce de Fréjus pour obtenir le remboursement de cette somme, que le dirigeant est intervenu volontairement à la procédure pour voir condamné, tantôt, l’UNEDIC en remboursement des sommes indûment perçues, et voir condamné tantôt, le mandataire liquidateur au paiement d’une somme qu’il a conservé entre ses mains et libéré à tort au profit d’un autre créancier.
Ainsi, tel est pris qui croyait prendre.
Deuxièmement, cette jurisprudence est intéressante parce qu’elle vient effectivement poser le sort d’une pratique mise en place depuis de nombreuses années qui consiste à faire passer avant le super privilège des salaires les frais de justice du mandataire judiciaire, du Greffe et des autres intervenants de la procédure collective.
De telle sorte que la question pouvait légitimement se poser par le Tribunal de commerce de savoir si les 19 877.00 € n’avaient finalement pas été absorbés à tort par les frais de justice du Mandataire judiciaire ou par l’UNEDIC qui n’aurait pas dû percevoir ces fonds.
Le mandataire liquidateur a immanquablement interjeté appel, le dirigeant est immanquablement intimé dans cet appel et je pense que cet appel nous offrira d’autres perspectives de réflexion sur cette procédure qui méritait, par son caractère atypique et par son histoire et son ancienneté, une chronique clairement dédiée, fusse-t-il, sur la base d’un jugement rendu en première Instance par le Tribunal de commerce de Fréjus.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,