Dans quelles conditions la banque engage t’elle sa responsabilité en cas de virement anormal et en cas de fraude au président ? L’analyse par la banque des habitudes de son client n’imposerait-elle pas la banque d’alerter son client afin d’obtenir la confirmation des ordres litigieux en exécution de son obligation de vigilance ? En cas de « fraude au président », la banque n’aurait-elle pas dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à les valider ?
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Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Cour de cassation, Chambre commerciale, en octobre 2024, qui vient aborder la problématique de la responsabilité de la banque en cas d’anomalie apparente dans le cadre d’un virement effectué par un client.
Le principe de non-immixtion
En effet, comme à chacun sait, la banque a toujours pour habitude de se retrancher derrière le sacrosaint principe de non-immixtion afin de rappeler et de considérer que le client est à la libre disposition de ses comptes (bien que ce soit extrêmement relatif en pratique) et que, dès lors, la banque n’a pas à s’immiscer quant aux opérations de dépenses que ce dernier peut faire.
Dès lors, lorsqu’un client se fait arnaquer et que celui-ci réalise une opération inhabituelle, la banque se retranche derrière cette non-immixtion pour se laver les mains de toute forme de responsabilité, laissant ainsi le malheureux client assumer les conséquences de cette anomalie.
Or, fort heureusement, des jurisprudences comme celle-ci méritent d’être saluées en ce qu’elles viennent justement consacrer la responsabilité de la banque en cas d’anomalie apparente, tant bien même celle-ci découle d’un virement effectué par le client.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, le comptable de la société C et B avait adressé à sa banque sept ordres de virement d’un montant total de 2 121 903.81 € au profit du compte d’une société située à Hong Kong.
Le 17 novembre 2020, affirmant que ses salariés avaient agis en exécution de courriels adressés par un tiers usurpant l’identité de son dirigeant, la société a assigné la banque pour obtenir la restitution des sommes versées.
Pour autant, la banque entendait clairement échapper à ses responsabilités et considérait qu’il appartenait à la seule société d’en supporter toutes les conséquences sans avoir à chercher de quelque manière que ce soit la responsabilité de la banque.
En effet, la banque qui se pourvoit en cassation faisait grief à la Cour d’appel de l’avoir condamné à payer à la société la somme de 1 060 951.90 € en réparation de son préjudice.
La banque considérait qu’elle était tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, de telle sorte que le devoir de vigilance lui impose seulement de déceler les anomalies apparentes de l'opération de paiement qui lui est demandé d’exécuter.
Un devoir de vigilance pour déceler les anomalies apparentes
Pour la banque, cela implique qu’elle n’a vocation à se borner qu’à un contrôle prima facie et non à une étude approfondie des habitudes du compte de son client.
Or, la Cour d’appel avait toutefois considéré que la société démontrait, en produisant ses relevés de compte entre janvier 2014 et novembre 2016 ainsi que des tableaux analytiques qu’elle avait réalisé des virements qu’elle effectuait et que, en dehors des virements adressés à la société D, sa société mère, elle n’effectuait quasiment aucun virement supérieur à 100 000.00 € et qu’elle n’effectuait pas de virement vers des sociétés basées en Chine et que les ordres de virement litigieux par leur caractère rapproché et répété de l’année au cours de laquelle ils intervenaient, leur montant élevé par rapport aux ordres habituellement donnés et le fait qu’ils étaient établis au bénéfice de deux sociétés ne faisait pas partie des relations d’affaires de la société C et B et situé dans un espace géographique avec lequel la société C et B n’avait pas pour habitude de travailler, aurait dû amener la banque à sursoir à leur exécution et à se renseigner sur leur validité.
Un historique des opérations devant amener la banque à s’interroger sur les ordres de virement
Le banquier considérant encore que l’opération des opérations antérieurement inscrites au débit du compte ne devait pas conduire la banque à s’interroger sur deux ordres de virement d’un montant plus élevé au risque de s’immiscer de la sorte dans les affaires de son client.
Elle considérait encore que la banque n’est pas plus tenue de tenir la liste des bénéficiaires habituels des ordres de paiement de ses clients.
Dès lors, la banque faisait clairement grief à la Cour d’appel d’avoir également considéré que, en cas d’anomalie apparente, celle-ci n’avait pas vocation à obtenir un nouvel ordre de paiement.
La banque faisait grief, là-encore, à la Cour d’appel d’avoir retenu que les ordres de paiement litigieux auraient dû amener la banque à sursoir à leur exécution et à se renseigner sur leur validité directement auprès du signataire, eu égard au caractère douteux de ces opérations révélant une possible fraude au Président dont le mécanisme est bien connu des banques.
La responsabilité de la banque et la fraude au président
Or, la banque effectivement s’était contenté d’appeler Madame Y, ce qui ne pouvait être suffisant, celle-ci n’étant pas la détentrice du pouvoir de validité de virement et qu’il appartenait à la banque dans cette situation de contacter, non seulement le comptable de la société, mais bel et bien son dirigeant, quand bien même une telle vérification n’était pas contractuellement prévue.
Fort heureusement, la Cour de cassation ne partage pas les tentatives d’exonération de la responsabilité de l’établissement bancaire.
La notion d’anomalie et les analyses des opérations bancaires du client
Elle vient rappeler qu’après avoir constaté que la société établissait n’avoir effectué presque aucun virement supérieur à 100 000.00 € et ne pas effectuer de virement vers des sociétés situées en Chine, la Cour d’appel retient à bon droit que les ordres de virement litigieux par leur caractère rapproché, répété, par la période de l’année à laquelle ils intervenaient, leurs montants élevés par rapport aux ordres habituellement donnés et par le fait qu’ils étaient établis au bénéfice de sociétés ne faisant pas partie des relations d’affaires de la société et situées en dehors de l’espace habituel de son activité, aurait dû conduire la banque à se renseigner sur la validité directement auprès du dirigeant supposé.
L’ensemble de ces constatations et appréciations faisant ressortir l’existence d’anomalies apparentes affectant les ordres de virement.
L’obligation de la banque d’alerter la société pour obtenir la confirmation des ordres litigieux
C’est donc à bon droit que la Cour d’appel a exactement reconnu que la banque était tenue d’alerter la société afin d’obtenir la confirmation des ordres litigieux en exécution de son obligation de vigilance.
Bien plus encore, la Cour de cassation précise qu’ayant retenu l’existence de circonstances inhabituelles entourant les virements litigieux laissant suspecter une possible fraude au Président, en a exactement déduit sans exiger l’obtention d’un nouvel ordre de paiement, que la banque aurait dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à les valider.
Cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle vient consacrer une nouvelle fois la responsabilité de la banque en cas d’anomalie apparente sur un virement litigieux, tout comme elle vient caractériser la responsabilité de la banque en cas de fraude au président qui laisse d’ailleurs suspecter une possible fraude au Président.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,