Copropriété, soixante ans d’abus de confiance

Publié le Modifié le 11/07/2025 Vu 79 fois 0
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Deux arrêts rappellent les risques d’abus de confiance encourus par les copropriétaires depuis la loi du 10 juillet 1965. Il ne saurait donc être question de se réjouir à l’occasion des 60 ans de ce texte.

Deux arrêts rappellent les risques d’abus de confiance encourus par les copropriétaires depuis la loi du 1

Copropriété, soixante ans d’abus de confiance

Triste banalité

 

Selon un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 30 avril 2025 (n° 23-85.184), un couple de syndics a été condamné notamment pour escroquerie, faux et usage de faux, banqueroute agravée et abus de confiance. 

 

La Cour de cassation a confirmé les condamnations pénales ainsi que la condamnation du couple à payer 5 000 €  de dommages intérêts à un syndicat des copropriétaires. Ce dernier avait subi un préjudice lié au mauvais entretien des parties communes suite aux détournements de fonds subis.

 

Le couple n’a partiellement obtenu gain de cause que concernant une indemnisation 9 700 € liée aux frais d’expertises qu’un syndicat des copropriétaires avait dû exposer pour faire évaluer son préjudice. La chambre criminelle a considéré qu’il n’était pas établi que cette dépense assumée par le syndicat des copropriétaires ait été la conséquence directe de l’infraction subie.

 

Cela peut paraître moralement choquant, car hélas, ce n’est pas la première fois que des détournements de fonds se produisent.

 

Pourtant, le raisonnement de la haute juridiction est imparable.

 

Erreur procédurale compréhensible

 

Pour la Cour de cassation, le syndicat des copropriétaires n’aurait pas dû réclamer une indemnisation pour frais d'expertise judiciaire sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale. Ce texte est relatif à l’action civile et l’indemnisation directe de la victime. Il fallait plutôt se baser sur le fondement de l’article 475-1 du même Code, relatif aux frais de justice exposés.

 

Cette analyse juridiquement impeccable de la haute juridiction est également politiquement problématique.

 

Comment voulez-vous que des copropriétaires victimes d’une infraction aient la finesse d’analyse nécessaire pour opérer cette distinction ? Les services de l’État font-ils le travail indispensable pour préparer les citoyens à être vigilants sur ce point ? Citent-ils de manière systématique et publique les arrêts de la Cour de cassation relatifs à ces abus de confiance récurrents ?

 

Comment réagirait un avocat si ses clients copropriétaires lui faisaient cette remarque ? Il les renverrait à leur prétendue ignorance.

 

En l’occurrence, dans l’arrêt du 30 avril 2025, des avocats ont manifestement commis l’erreur en question dans leurs écritures et ont confondu le champ d’application des articles 2 et 475-1 du Code de procédure pénale. Cela va encore alonger la durée du contentieux concernant un immeuble déjà victime d’agissements condamnables...

 

Hara-kiri

 

Cette affaire montre l’inanité du système de la copropriété établi par la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965. Ce dernier texte repose sur un encadrement obligatoire très contraignant pour la gestion de parties communes (voir Jean-Marc ROUX, « Réflexions sur l’aménagement de l’ordre public dans la loi du 10 juillet 1965 », Loyers et copropriété, Octobre 2015, pp. 25 à 28).

 

Les copropriétaires doivent gérer des parties communes pour réaliser des dépenses à long terme qui ne sont pas dans leur intérêt économique immédiat, assistés en cela par des syndics professionnels qui, eux aussi, ont leur propre agenda, tout en faisant périodiquement appel à des avocats qui souhaitent échapper à leurs responsabilités en cas d’erreur.

 

Or, on ne peut pas compter sur les avocats pour signaler leurs propres erreurs procédurales et sur les syndics professionnels pour relever les errements de leurs collègues. Comme le disait le conseiller du président du groupe FONCIA (plus grand acteur privé de la gestion immobilière en France), les syndics ne vont pas se faire « hara-kiri » (Jacques LAPORTE, « Le syndic, du mythe à la réalité », AJDI, juin 2014, voir p. 444).

 

La traduction plus exacte de cette expression est seppuku (切腹 ), étymologiquement « se couper le ventre », l’autre prononciation étant liée à une transcription maladroite sous l’époque coloniale de formulations japonaises argotiques...

 

En tout état de cause, personne ne va volontiers aller contre ses propres intérêts. Ce n’est pas en soi une critique. Il ne s’agit pas de diaboliser qui que ce soit. Les commentaires juridiques des professionnels existent et doivent continuer à exister, mais ils ne seront jamais suffisants, car de nombreux arrêts échapperont toujours à leur champ d’intervention.

 

Chacun voit donc l’importance d’un pluralisme d’approches quant à l’analyse des textes normatifs et de la jurisprudence.

 

Utilité des regards doctrinaux croisés

 

Ainsi, un universitaire rappelle l’importance du « discours produit à propos du droit, que l’on appelle dogmatique ou doctrine. Cette dernière expression ne renvoie pas à un corps professionnalisé, universitaire notamment, mais désigne un ensemble d’opinions ayant le droit pour objet » (Éric MILLIARD, Théorie générale du droit, Dalloz, 2006, p. 1).

 

Et comme le dit un autre universitaire, « la doctrine, la pensée des auteurs en matière juridique, exprimée dans l’ensemble des ouvrages juridiques, est un concept ambigu. Il n’y a pas une doctrine, mais des auteurs de droit dont la liberté favorise la diversité de leurs pensées » (Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, 2003, p. 74).

 

Des avocats et des syndics écrivent sur la loi et la jurisprudence. C’est légitime. Néanmoins, leurs regards ne seront jamais suffisants et ils ne peuvent ni aspirer à un monopole de l’étude du droit, ni à une autorité incontestable.

 

Les juges, les parlementaires et les citoyens investis dans leurs quartiers doivent aussi faire ce travail d’analyse des arrêts, notamment parce qu’ils n’oublieront pas d’étudier les décisions de justice qui gênent les réseaux professionnels établis.

 

Quant aux universitaires, leur dévoir est de faire la synthèse de tous ces regards différents pour évaluer comment ils se complètent.

 

Hélas, concernant les abus de confiance, ces regards croisés sont encore à améliorer.

 

Catastrophe dissimulée

 

Dans un arrêt du 19 juin 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à donné tort à une caisse de garantie qui ne voulait pas assumer les préjudices subis par 36 syndicats de copropriétaires ayant subi des détournements de la part du co-gérant d’une société syndic professionnel. Le co-gérant a été condamné pour abus de confiance.

 

La Cour de cassation a estimé que la caisse de garantie ne pouvait pas se défausser sur l’assureur de la société syndic, le co-gérant ayant agi de sa propre initiative et sans subir la moindre surveillance. La caisse de garantie devra donc payer (arrêt n° 23-14.145).

 

On note que les détournements sont survenus de 2007 à 2010.

 

Les syndcats de copropriétaires, après avoir été victimes d’abus de confiance, ont donc subi 15 ans de procédure, suite aux réticences infondées d’une caisse de garantie dont on peut douter de la bonne foi.

 

Cet exemple catastrophique ne peut pas renforcer la confiance des copropriétaires dans la gestion professionnelle et dans les mécanismes de protection prévus en cas d’erreurs ou de détournements (voir aussi « Détournements et autocratie en copropriété »). Les copropriétaires préfèrent alors ne pas désigner de syndic du tout.

 

Au 31 mars 2024, selon le registre national d’immatriculation, il y avait officiellement 223 215 syndicats de copropriétaires immatriculés et dépourvus de syndics.

 

Or, selon la loi du 10 juillet 1965 (article 18), seul le syndic est légalement habilité à exécuter les décisions relatives au parties communes, soit concernant le recouvrement des charges, soit concernant les travaux nécessaires.

 

Cela signifie qu’officiellement, en France, dans plus de 200 000 immeubles, il n’y a ni charges, ni travaux, et que les parties communes, c’est-à-dire les toits, les planchers, les murs porteurs et les fondations, se dégradent.

 

On sait comment cela peut se terminer.

 

La preuve par la rue d’Aubagne

 

Le 5 novembre 2018, vers 9 heures, l’immeuble du 65 de la rue d’Aubagne à Marseille, dans le quartier de Noailles, s’est effondré.

 

8 personnes sont décédées.

 

Le 63 de la rue d’Aubagne, qui était géré par un office HLM relevant de la municipalité, avait subi une destruction partielle qui entraîné la dégradation catastrophique des structures porteuses de l’immeuble voisin.

 

Récemment, le syndic professionnel de l’immeuble du 65 rue d’Aubagne, deux de ses salariés, l’architecte expert qui serait passé en coup de vent quelques jours avant l’effondrement, une famille de copropriétaires et un conseiller régional copropriétaire et avocat du syndic ont été condamnés en première instance (Fabien LE DU, Nelly ASSÉNAT, Isabelle LASSALLE, « Procès des effondement de la rue d’Aubagne à Marseille : des peines de prison ferme prononcées », France Bleu, 7 juillet 2025).

 

Ces condamnations n’étant pas définitives, aucun commentaire relatif aux personnes mises en cause ne saurait être pertinent. Cependant, au plan systémique, la nocivité du système établi en 1965 est patente.

 

Rendre le commun à la commune

 

Partout, y compris en Morbihan, mais aussi à Marseille, à Lyon ou en Île-de-France, on lit des affiches proclamant : « Devenez propriétaires » alors que ce sont des immeubles en copropriété dont les lots sont vendus.

 

Or, un lot de copropriété comprend toujours de manière indissociable des parties privatives et une quote-part de parties communes (voir l’article 1 de la loi du 10 juillet 1965).

 

En France, depuis le Code civil et 1804, qui est un héritage des aspirations révolutionnaires de 1789, la propriété est par nature absolue et individuelle (article 544 du Code civil).

 

Le choix de confier la gestion des parties communes à des personnes qui ne viennent pas pour cela et que cette gestion n’intéresse pas a été déplorable.

 

Dans une perspective authentiquement fidèle à l’héritage de la Révolution et de la IIIe République, c’est la commune qui devrait gérer les parties communes.

 

Toute autre attitude était trompeuse, imprudente et anti-démocratique. Depuis 1965, le législateur et les acteurs du monde du droit et de l’immobilier font miroiter de manière fallacieuse un statut de propriétaire à des ménages dont ils attendent des efforts pour la gestion des parties communes, sacrifices de surcroît dissimulés.

 

Comme les chemins vicinaux ou la voirie communale, les parties communes ne concernent pas que les copropriétaires. Elles affectent aussi les habitants, les riverains et les services publics, notamment ceux de la santé et de l’éducation. Le maire élu par tous sous le regard des quartiers organisés et mobilisés est légitime pour prendre les décisions nécessaires concernant ces parties communes, plus que des individus qui commettent si fréquemment des abus de confiance en détournant les charges de copropriété...

 

Les charges sont des impôts fonciers cachés. Elles doivent retrouver leur statut réel. Les abus de confiance au détriment des communes sont bien moins fréquents que dans les immeubles. Et s’il peut exister des soucis quant aux finances communales, l’État en est souvent responsable. On y reviendra...

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