Obligation du bailleur, logement décent et force majeure

Publié le Modifié le 31/05/2023 Vu 3 037 fois 0
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Parfois, un logement loué est si dégradé qu’il n’est plus décent. Le bailleur doit le réparer. Il ne peut échapper à ses obligations en prouvant que des tiers sont responsables des désordres.

Parfois, un logement loué est si dégradé qu’il n’est plus décent. Le bailleur doit le réparer. Il ne

Obligation du bailleur, logement décent et force majeure

Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation, 3ème ch. civ., 16 mars 2023, n° 22-10.013

 

Un problème classique

Un immeuble avait été construit par la société B. IMMOBILIER avant d’être placé sous le régime de la copropriété. L’un des appartements contenus dans cet immeuble a été mis en location par une société.

Des infiltrations importantes provenaient des parties communes. Les désordres étaient liés à un défaut d’étanchéité de la toiture terrasse. L’appartement loué a subi, de ce fait, de constantes dégradations. La locataire a même constaté que la santé de ses enfants se dégradait.

La bailleresse, avertie par la locataire, a fait repeindre par trois fois les murs à l’intérieur du logement, tout en interpellant à plusieurs reprises le syndic de copropriété ainsi que le constructeur. Malgré ces efforts, les infiltrations ont persisté.

 

Défaut de décence

La locataire s’en est émue, en invoquant un défaut de décence du logement.

En effet, en application de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu, concernant la chose louée, d’en « faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. » Si cette chose louée est le logement principal du locataire, ledit logement doit être décent.

L’article 6 de la loi n° 89-462 confirme que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent.

Les critères de la décence sont établis par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.

Dès lors que l’un de ces critères est absent et qu’un préjudice en découle pour le locataire, une indemnisation est due par le bailleur (Cass. 3e civ., 22 juin 2022, n° 21-12.022).

Parmi les critères de décence figure la solidité du clos et du couvert. Dès lors, en cas d’infiltrations d’eau récurrentes, les locataires sont en droit d’invoquer la non décence du logement (Cass. 3e civ., 18 déc. 2012, n° 11-10.061).

 

Une demande compréhensible

Dès lors, il est naturel qu’une instance judiciaire ait été initiée par la locataire du logement construit par B. IMMOBILIER.

Elle a donc réclamé des travaux de réfection, la suspension de son loyer et le remboursement des loyers versés durant la période où les infiltrations sont survenues.

Le juge est, en effet, en droit de suspendre le versement du loyer, en application de l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989. Encore faut-il que le locataire ait réclamé la réalisation de travaux, car c’est là l’une des conditions pour invoquer cet article 20-1 (Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, n° 19-23.216).

En l’occurrence, la locataire du logement construit par B. IMMOBILIER a bien veillé à le faire.

 

Réclamations maximalistes

Pour ce qui est de la demande de remboursement des loyers versés antérieurement, il s’agissait d’un objectif assez ambitieux.

Pour obtenir un remboursement intégral, il faut que le bien soit déclaré totalement inhabitable durant la période litigieuse (Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-22.754, Bull. III n° 580).

Souvent, le logement est déclaré partiellement habitable, bien que non décent. Dans ce cas, le loyer n’a pas à être intégralement remboursé (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 16-27.246 et Cass. 3e civ., 28 mars 2019, n° 15-17.260).

Une réduction rétroactive du loyer peut toutefois être décidée par le juge. Un loyer a ainsi été baissé de 30 % pour un logement subissant d’importantes infiltrations causant des moisissures (Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 18-12.738).

La locataire du logement construit par B. IMMOBILIER a donc formulé une demande maximaliste mais, après tout, qui ne tente rien n’obtient rien.

 

Une position surprenante

Dans un arrêt du 4 février 2021, la Cour d’appel de Bordeaux a pourtant débouté intégralement la locataire concernant le préjudice qu’elle indiquait avoir subi en raison de la non décence.

Ce rejet était motivé par le fait que la bailleresse avait réagi à toutes les plaintes de la locataire. Les murs du logement avaient été repeints par trois fois. Quant au syndic ainsi que le constructeur, ils avaient été régulièrement interpellés.

Pour ce qui est des enfants de la locataire, il n’était pas prouvé que l’altération de leur santé soit exclusivement due à la non décence de l’immeuble.

Cette position de la Cour d’appel de Bordeaux était néanmoins étonnante.

Le fait qu’un syndicat des copropriétaires soit responsable des désordres rendant le logement non décent ne prive pas le locataire de son action en indemnisation. Cela peut juste entraîner un partage de responsabilités entre le bailleur et le syndicat des copropriétaires, à proportion de leurs manquements respectifs (Cass. 3e civ., 6 juill. 2022, n° 20-23.626).

 

Une mise au point bienvenue

Très logiquement, l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux a été cassé (Cass., 3ème ch. civ., 16 mars 2023, n° 22-10.013).

Pour la Cour de cassation, il n’aurait été possible de débouter la locataire que s’il avait été constaté la fin des désordres affectant le logement.

Sinon, seule la force majeure aurait pu exonérer la bailleresse de ses obligations d’entretien et de délivrance d’un logement décent.

Cela rappelle ce qu’avait déjà estimé la Cour de cassation, dans une affaire où un logement était humide et moisi du fait de l’état déplorable de l’immeuble : « l'obligation du bailleur d'assurer au preneur une jouissance paisible de la chose louée ne cesse qu'en cas de force majeure » (Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, n° 10-25.978).

Une formulation similaire avait été employée concernant un logement où vivaient une dame et ses six enfants, et où le réseau d’eaux usées provoquait des inondations répétées et dégorgeait des matières fécales (Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 18-10.034).

Reste à définir les caractéristiques de cette force majeure, susceptible de libérer le bailleur de ses obligations.

 

Force majeure

Selon l’article 1219 alinéa 1 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. ».

L’évènement relevant de la force majeure est donc imprévisible et irrésistible, tout en échappant à tout contrôle.

Le fait que les pouvoirs publics changent d’avis n’est pas imprévisible. Ainsi, une décision négative de l’autorité publique n’est pas revêtue de ces caractéristiques (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726, Bull. V n° 151).

À l’inverse, de très fortes pluies provoquant un glissement de terrain, puis la prise par l’autorité publique d’un arrêté de catastrophe naturelle, ont le caractère de la force majeure.

De telles intempéries sont imprévisibles et irrésistibles. Elles échappent au contrôle des personnes auxquelles appartiennent les biens frappés. Elles exonèrent donc de leur responsabilité les propriétaires dont le terrain glisse sur celui des voisins (Cass. 2e civ., 17 juin 2021, n° 17-18.082).

Les infiltrations provenant des parties communes n’échappent pas au contrôle des copropriétaires, puisqu’il leur aurait suffit de contracter avec un constructeur plus performant pour les éviter.

La solution réaffirmée par la Cour de cassation le 17 mars 2023 est donc parfaitement justifiée.

Espérons qu’elle soit reprise en matière de performance énergétique puisqu’il s’agit désormais aussi d’un critère de décence, malgré les résistances de certains acteurs économiques et des commentateurs liés à eux (voir Th. POULICHOT, Bail et logement décent, 2023, point 2.16, pp. 53 à 58).

 

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