Limites de la propriété par étages
Au commencement était la loi du 28 juin 1938.
Celle-ci a introduit la notion de copropriété dans la législation française, alors que, précédemment, il n’existait qu’une copropriété par étages régie par l’article 664 du Code civil.
Cet article 664 disposait :
« Lorsque les différents étages d’une maison appartiennent à divers propriétaires, si les titres de propriété ne règlent pas le mode de réparations et reconstructions, elles doivent être faites ainsi qu’il suit : les gros murs et le toit sont à la charge de tous les propriétaires, chacun en proportion de la valeur de l’étage qui lui appartient ; le propriétaire de chaque étage fait le plancher sur lequel il marche ; le propriétaire du premier étage fait l’escalier qui y conduit, le propriétaire du second étage fait, à partir du premier, l’escalier qui conduit chez lui et ainsi de suite. »
On note que cet article était déjà supplétif. Il ne s’imposait que si les titres de copropriété ne réglaient pas l’organisation entre divers propriétaires pour réparer et reconstruire les éléments partagés dans la maison.
De nombreuses difficultés juridiques sont apparues. Qui avait le droit d’intervenir sur les gros murs et le toit ? Quel était le statut de ces éléments partagés ? Etaient-ils la propriété de tous ? S’il s’agissait d’éléments indivis, pouvait-on les partager sur le fondement de l’article 815 du Code civil qui prévoit que nul ne peut rester dans l’indivision ?
Au moment où le législateur a voulu encourager la propriété par appartements dans les immeubles collectifs après les ravages de la première guerre mondiale, le Parlement a donc voté la loi du 28 juin 1938 qui a abrogé l’article 664 du Code civil.
Apparition de la copropriété dans la loi
L’article 5 alinéa 1 de cette loi du 28 juin 1938 commençait ainsi : « Lorsque les différents étages d’une maison appartiennent à divers propriétaires, ceux-ci, à défaut de titres contraires, sont présumés être copropriétaires du sol et de toutes les parties du bâtiment qui ne sont pas affectées à l’usage exclusif de l’un d’eux ».
L’article 7 alinéa 1 de la loi du 28 juin 1938 ajoutait :
« Dans tous les cas de copropriété d’un immeuble divisé par étages ou par appartements et en l’absence d’un règlement prévoyant une organisation contraire, les différents propriétaires se trouvent obligatoirement et de plein droit groupés dans un syndicat des copropriétaires, représentant légal de la collectivité ».
Là encore, on note que la copropriété ne s’imposait qu’en l’absence d’une organisation contraire ou de titres contraires.
On remarque aussi, et c’est très important, que ce sont les copropriétaires qui, ensemble, possèdent les parties communes. Le syndicat des copropriétaires, lui, ne possède rien. Il n’est qu’une personne morale chargée de représenter la collectivité des copropriétaires.
Quant à cette collectivité des copropriétaires, il ne faut surtout pas l’appeler la « copropriété ». Chaque copropriétaire est un individu qui possède un bien personnel, tout en partageant avec les autres copropriétaires des parties communes en indivision perpétuelle. Dans la loi de 1938, la copropriété désigne un type de propriété partagée et non un groupe de personnes ou tout un immeuble.
Le syndicat des copropriétaires ne fait que représenter les copropriétaires individuels, et uniquement concernant les parties communes et les intérêts collectifs. Concernant les intérêts particuliers de chacun, le syndicat n’était pas censé avoir la moindre compétence en 1938.
Naissance du statut impératif
La révolution induite par la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis est celle-ci.
Dans son article 43, elle explique que toutes les clauses de contrats contraires à un certain nombre de ses articles sont réputées non écrites (Jean-Marc ROUX, « Réflexions sur l’aménagement de l’ordre public dans la loi du 10 juillet 1965 », Loyers et copropriété, oct. 2015, pp. 25 à 28).
Actuellement, la première phrase de l’article 43 dispose :
« Toutes clauses contraires aux dispositions des articles 1er, 1-1, 4, 6 à 37, 41-1 à 42-1 et 46 et celles du décret prises pour leur application sont réputées non écrites. »
Les articles 1er et 1-1 concernent le champ d’application de la loi sur le statut de la copropriété. Les articles 4 et 6 à 7 concernent les parties communes.
Les articles 8 et suivants concernent le règlement de copropriété, les obligations des copropriétaires et les pouvoirs du syndicat des copropriétaires.
Les articles 17 et suivants concernent les organes du syndicat, à savoir les assemblées générales, le syndic et le conseil syndical. L’article 27 concerne les syndicats secondaires.
L’article 28 concerne les scissions de syndicats. Les articles 29 et suivants concernent les unions de syndicats et les difficultés en copropriété, les améliorations, les surélévations ainsi que la mitoyenneté.
Les articles 41-1 et suivants concernent les résidences-services, les petits immeubles en copropriété, la copropriété à deux, les notifications et les délais de recours.
Abus de langage
Toutes ces règles auxquelles on ne peut pas échapper constituent donc le statut de la copropriété qui implique ainsi la soumission à un régime juridique. La copropriété n’est pas un immeuble ou un groupe social.
En effet, un immeuble peut être en copropriété un jour et, le lendemain, ne plus l’être. Aucun immeuble n’est une « copropriété » pour toujours. Et les habitants d’un immeuble (locataires compris) ne forment certainement pas une « copropriété » juste parce que le statut juridique de la copropriété s’applique momentanément à l’immeuble qu’ils habitent.
Les locataires ne sont d’ailleurs propriétaires d’aucun élément de l’immeuble (et pas même des parties communes).
Ils n’ont donc rien à voir avec la copropriété, bien que des extrémistes voudraient prétendre le contraire, en souhaitant exproprier les détenteurs de logements qui louent ces derniers.
Comme de coutume, les extrémistes sont les meilleurs alliés des pires dérives anti-sociales, puisque cela pourrait conduire à la raréfaction accentuée des biens mis en location.
Ces confusions donnent une mauvaise image à la copropriété, un peu comme les putois qui sont des animaux utiles mais qui ont une réputation difficile…
Critères du champ obligatoire
Pierre CAPOULADE avait donc raison de dire que la copropriété était une institution et non une collectivité ou une personne morale (« La copropriété sous contrôle », Administrer, n° 478, juillet 2014, pp. 5 à 18).
À la décharge de ceux qui disent un peu n’importe quoi, le législateur lui-même entretient la confusion en évoquant des « copropriétés » pour désigner des immeubles, alors même qu’il a été obligé de clarifier sa position sur le champ d’application du statut.
L’article 1 point I (deux premiers alinéas) de la loi du 10 juillet 1965 dispose, en effet :
« I.-La présente loi régit tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis à usage total ou partiel d'habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes.
Le lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables. »
Le statut obligatoire concerne donc des immeubles ou des groupes d’immeubles bâtis (voir l’alinéa 1) et non des terrains nus (pour lesquels l’application du statut n’est qu’optionnelle), les fusées, les bateaux ou les avions.
Pour l’instant, le statut de la copropriété de la loi de 1965 ne semble pas non plus s’appliquer aux constructions au-dessus de la mer, qui relèvent d’un autre régime (Cour d’appel de Paris, Pôle 4, ch. 2, 19 déc. 2012, Syndicat Port Premier Paris Sud, Informations Rapides de la Copropriété, n° 594, déc. 2013, p. 9, obs. Marie-Françoise RITSCHY).
La répartition de la propriété par lots entre plusieurs personnes est également requise pour que le statut soit obligatoire. Cela fait que, si un individu rachète tous les lots d’un immeuble, le statut de la copropriété ne s’applique plus (voir l’alinéa 1).
Pas de parties communes, pas de copropriété obligatoire
Chaque lot doit aussi comprendre des parties privatives et une quote-part de parties communes. Lorsqu’il y a répartition par lots sans existence de parties communes, il n’y a pas de copropriété (voir l’alinéa 2).
Que les choses soient donc claires. La division d’un bien immobilier par lots n’est pas le seul critère d’application du statut de la copropriété.
Quand il n’y a pas de quote-part de parties communes, il n’y a pas de copropriété (Cass., 3e civ., 24 janv. 2019, n° 17-23.364, obs. Christelle COUTANT-LAPALUS, Loyers et copropriété, avr. 2019, com. 64).
Réunion de tous les lots dans les mêmes mains
Ensuite, lorsqu’une même personne rachète tous les lots de copropriété d’un immeuble ou d’un groupe d’immeuble, le statut de la copropriété ne s’applique pas non plus.
L’acheteur de tous les lots n’est même pas responsable pour les bêtises éventuellement commises par le syndicat des copropriétaires qui existait antérieurement et qui doit donc être liquidé.
La Cour de cassation l’a rappelé (Cass. 3e civ., 12 nov. 2020, n° 19-17.954), en censurant un arrêt de la Cour d’appel de Paris (Pôle 4, ch. 2, 13 mars 2019).
La haute juridiction considérait que « l'acquéreur des lots n'étant pas tenu de plein droit des obligations du syndicat dissous, dont la personnalité morale subsiste pour les besoins de sa liquidation, les créanciers de ce syndicat doivent le mettre en cause, même si la copropriété a disparu du fait de la réunion de tous les lots entre les mains d'un même propriétaire, au besoin en faisant désigner judiciairement un mandataire ad'hoc ».
La Cour de cassation est donc fidèle à l’idée selon laquelle le syndicat des copropriétaires est un représentant d’intérêts collectifs, même passés, et non le porteur d’une propriété partagée qui n’existe plus.
Ci-dessus, les hypothèses dans lesquelles le statut de la copropriété est obligatoire ont été évoquées. Toutefois, dans d’autres cas, il peut d’être qu’optionnel, à condition d’avoir pris les précautions nécessaires.