Syndic pro ou non pro, prestation et carence

Publié le Modifié le 06/06/2023 Vu 2 546 fois 0
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Un récent arrêt valide la désignation d’un administrateur provisoire en cas de carence du syndic non professionnel. Il ne faut pas en déduire que seuls les professionnels devraient être syndics pour éviter les carences.

Un récent arrêt valide la désignation d’un administrateur provisoire en cas de carence du syndic non prof

Syndic pro ou non pro, prestation et carence

Une situation malheureusement classique

 

En 2018, dans un immeuble en copropriété situé dans le ressort du Tribunal judiciaire de Limoges, une copropriétaire a réclamé à son syndic non professionnel des informations sur les charges d’entretien de l’immeuble, un diagnostic sur l’état du bâti ainsi que des documents relatifs aux assemblées générales.

 

Le syndic non professionnel a refusé de s’exécuter en prétextant du fait que la copropriétaire avait été au nombre de ceux qui avaient contesté la désignation dudit syndic.

 

La copropriétaire a donc saisi le président du Tribunal de Grande Instance (dénomination de l’époque) aux fins de désignation d’un administrateur provisoire le 2 août 2018.

 

Le 13 août 2018, le président du Tribunal de Grande Instance de Limoges a fait droit à cette demande en désignant un administrateur provisoire pour douze mois.

 

L’administrateur provisoire a tenu des réunions de copropriétaires où il a constaté une absence de tenue régulière de la comptabilité, un défaut de justificatif des charges, des tensions exacerbées entre copropriétaires et des impayés mettant en péril le bon fonctionnement du syndicat des copropriétaires.

 

Le syndic non professionnel s’était approprié le fonctionnement du syndicat.

 

Les difficultés ont continué après la fin de la mission de l’administrateur provisoire.

 

Dans une lettre recommandée du 22 juillet 2020, la copropriétaire qui s’était plainte initialement a mis en demeure la nouvelle syndic non professionnelle de mettre fin à ses carences (convocation irrégulière de l’assemblée générale, refus de communication d’informations, conflit d’intérêts et défaut d’entretien de l’immeuble).

 

Faute de réponse satisfaisante, la copropriétaire a saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire de Limoges en demandant la désignation d’un administrateur ad hoc pour un an sur le fondement de l’article 49 du décret du 17 mars 1967.

 

Par une ordonnance du 12 novembre 2020, le juge des référés a désigné un administrateur provisoire.

 

Un administrateur ad hoc demandé

 

Saisie par la syndic non professionnelle, la Cour d’appel de Limoges a validé la désignation de l’administrateur provisoire (Chambre civile, 17 juin 2021, RG 20/00679). Cet arrêt est mis en ligne par Pierre Edouard LAGRAULET sur son blog (lien).

 

Avocat, docteur en droit, ancien travailleur du secteur de l'immobilier, P. E. LAGRAULET est un ami des syndics professionnels et ses avis sont souvent partiaux à l'encontre des copropriétaires consommateurs.

 

On peut lire, en particulier P. E. LAGRAULET, Véronique BACOT-REAUME, "Douze petits voeux pour la copropriété", AJDI, janv. 2021, voeu 8, voir p. 4 où une modification du contrat type est réclamée.

 

L'impossibilité pour les syndics de facturer des prestations au-delà du forfait est, en effet, combattue par cet auteur, parce que, selon lui, les rares abus seraient minoritaires. Les services de la répression des fraudes ont pourtant prouvé le caractère massif des abus commis. Le plus puissant groupe de getion immobilière a d'aillers été en pointe pour commettre des écarts condamnés par la Cour de cassation à propos de la rémunération (Cass., 3e civ., 28 janv. 2021, n° 19-22.446, Loyers & Copropriété, avr. 2021, com. 65, obs. Agnès LEBATTEUX).

 

Si les syndics estiment que le léislateur leur imposent des contraintes supplémentaires, rien ne leur interdit d'augmenter leur forfait indiqué au contrat. Les copropriétaires sont ainsi prévenus et acceptent la rémunération enconnaissance de cause, sans être surpris après coup. L'argument de P.E. LAGRAULET n'est donc pas convaincant.

 

En tout état de cause, dans la décision commentée par P. E. LAGRAULET sur son blog, la carence de la syndic non professionnelle ne faisait aucun doute.

 

Néanmoins,  il ne faut pas confondre administrateur ad hoc et administrateur provisoire.

 

Selon l’article 49 du décret du 17 mars 1967 :

 

« Sous réserve des dispositions des articles 8 et 50 du présent décret, dans les cas d'empêchement ou de carence du syndic visés au V de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965, le syndic en fonction peut être assigné par tout intéressé devant le président du tribunal judiciaire statuant en référé en vue de la désignation d'un administrateur ad hoc de la copropriété.

L'ordonnance fixe la durée de la mission de l'administrateur ad hoc, sauf si cette ordonnance la limite expressément à un ou plusieurs objets ; la mission ainsi confiée est celle qui est définie par l'article 18 de la loi susvisée du 10 juillet 1965 et par le présent décret.

Sauf s'il y a urgence à faire procéder à l'exécution de certains travaux nécessaires à la sauvegarde de l'immeuble et au fonctionnement des services d'équipement commun ou de travaux prescrits par un arrêté de police administrative relatif à la sécurité ou la salubrité publique, la demande ne sera recevable que s'il est justifié d'une mise en demeure adressée au syndic et demeurée infructueuse pendant plus de huit jours. »

 

La copropriétaire qui se plaignait à Limoges a suivi à la lettre cette procédure, et il ne semble pas que le juge des référés ait restreint la mission de l’administrateur ad hoc. Ce dernier disposait donc de tous les pouvoirs classiques du syndic tels qu’ils sont définis dans l’article 18 de la loi de 1965.

 

On note que l’article 50 du décret de 1967 concerne l’absence de syndic et la possibilité de faire désigner un mandataire judiciaire pour convoquer l’assemblée générale.

 

Un administrateur provisoire accordé

 

On note aussi que les administrateurs provisoires sont régis par un texte distinct (à savoir l’article 29-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965). On les désigne en cas d’équilibre financier gravement compromis ou d’impossibilité de pourvoir à l’entretien et à la conservation de l’immeuble.

 

La désignation d’un administrateur provisoire suspend l’exigibilité des créances sur le syndicat des copropriétaires (article 29-3 de la loi du 10 juillet 1965), ce qui est beaucoup plus grave.

 

La Cour d’appel de Limoges, dans son arrêt du 17 juin 2021, a accordé à la copropriétaire un administrateur provisoire alors que cette dernière ne demandait, dans sa requête initiale, qu’un administrateur ad hoc.

 

Cela posera un vrai problème en cas de pourvoi en cassation. On peut craindre que la Cour d’appel de Limoges ait statué ultra petita (au-delà de ce qui lui était demandé) (voir article 4 du Code de Procédure civile, alinéa 1 : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties » et article 5 du Code de Procédure Civile : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé »).

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Limoges n’en reste pas moins intéressant, notamment en raison des conclusions qui en sont tirées par les adversaires idéologiques de l’autogestion.

 

Commentant cet arrêt, Pierre Edouard LAGRAULET déclare ainsi, sur son blog : « Lorsque la discorde règne parmi les copropriétaires, mieux vaut recourir à l’utile intermédiation d’un professionnel de l’administration de biens ! ».

 

Pierre Edouard LAGRAULET a ses idées qui ne sont pas toujours celles de ce blog. Il faut lire l'éditorial qu'il a rédigé avec Véronique BACOT-RÉAUME à l’AJDI de janvier 2021 (« Douze petits vœux pour la copropriété », pp. 1 à 5). Les préconisations qui y sont faites sont souvent opposées à celles qui sont contenues dans ce blog (tout particulièrement sur la codification), mais le débat enrichit la démocratie.

 

En attendant, la critique des syndics professionnels contre les syndics non professionnels doit être évoquée, parce qu'elle est particulièrement blessante pour les consommateurs qui ont fait de gros efforts de formation. 

 

 

Carence des uns, carence des autres

 

Néanmoins, les syndics non professionnels ne sont pas toujours des petits saints, et les défenseurs de l’autogestion ne doivent pas dissimuler cet aspect, s’ils veulent fournir, eux aussi, les garanties de sérieux nécessaires.

 

Un syndic non professionnel a ainsi été condamné pour abus de confiance après avoir détourné 168 636 € des caisses du syndicat des copropriétaires (Cass. crim. 22 févr. 2017 n° 15-87.443).

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On peut ajouter à cela l’histoire de cet individu incapable de convoquer des assemblées générales régulières et qui se prétendait « président du syndic bénévole » (Cass. 3e civ., 13 nov. 2013, n° 12-12.084), ce qui est moins grave, il est vrai, que « membre du syndic bénévole » lorsque ce dernier est un monsieur (voir Tête de membre du syndic bénévole, une auto-insulte bien choisie)...

 

Le droit de la copropriété est complexe et certains consommateurs le comprennent souvent mal, d’autant que les associations agréées censées les soutenir sont soit indifférentes, soit absentes sur le terrain, même lorsqu’elles ont des salariés compétents à leurs sièges.

 

À cela, il faut ajouter le fait que ces associations agréées, quand elles s’intéressent un tant soit peu à la copropriété, veulent souvent vendre des prestations de conseil, d’assistance et d’aide à la gestion aux syndics non professionnels, ce qui fait qu’elles perdent en neutralité.

 

Une association agréée de consommateur est censée faire contrepoids face aux prestataires. Quand elle devient elle aussi un prestataire, elle ne peut plus remplir ce rôle de manière fiable et devient indulgente à l’égard des autres prestataires qui ne tiennent pas leurs promesses.

 

D’un autre côté, les êtres humains sont rarement anges. Les syndics professionnels ne font pas exception.

 

Dans une résidence importante, un influent cabinet de syndic pro a ainsi émis durant plusieurs années des appels de fonds injustifiés tout en omettant de convoquer régulièrement les assemblées générales dans un immeuble en copropriété. Il a fallu désigner un administrateur provisoire (Cass. 3e civ. 8 avr. 2021, n° 19-16.190, précité, et Cass. 3e civ., 1er juill. 2014, n° 13-16.404).

 

On note la réticence initiale de la Cour d’appel de Paris à condamner ce syndic fautif et l’obligation pour la Cour de cassation de censurer cette juridiction…

 

 

Sortir de sa bulle internet

 

On rappelle également la condamnation d'un important syndic pro, qui gère de nombreux immeubles, et qui avait, dans son contrat, une clause illicite selon la Cour de cassation (Cass., 3e ch. civ., 28 janvier 2021, n° 19-22.446). On note, là encore, que la Cour d’appel de Rouen a eu du mal à constater les erreurs de ce syndic et qu’il a fallu que la Cour de cassation sévisse…

 

Les professionnels de l’administration de biens ont très souvent des contrats aux marges de la licéité. Les consommateurs doivent en être avertis.

 

Dans des immeubles où existent des conflits entre copropriétaires, ajouter aux tensions les irrégularités dans les contrats de syndics professionnels n’apaisera pas la situation. Chacun doit en être conscient, d’où le rôle crucial des associations qui ne sont pas des prestataires et qui ne restent pas dans une bulle démagogique.

 

L’association Les Garanties Citoyennes tente de participer à ce mouvement et veillera à ne pas s’en tenir aux commentaires trop rapides sur les réseaux sociaux, où nous sommes tous prisonniers d’une bulle.

 

Cela passera par un examen régulier de la jurisprudence, y compris quand elle dérange les adhérents (voir la revue Les Garanties Citoyennes de l’Habitat n° 1) (accessible gratuitement en ligne).

 

 

Dédiabolisation

 

Parler des arrêts qui dérangent est aussi un moyen d’éviter la diabolisation.

 

Tous ceux qui étudient un tant soit peu le droit de la copropriété sont accusés d’être vendus aux professionnels de l’immobilier. Ces derniers sont suspectés de mener une cabale contre la République en résistant à tout encadrement légal ou réglementaire, avec la complicité de magistrats complaisants et de commentateurs pratiquant l’omerta.

 

Ainsi s’explique le nombre croissant d’immeubles dépourvus de syndics (voir les derniers chiffres cités dans Les Garanties Citoyennes de l’Habitat n° 1).

 

Les arrêts de la Cour de cassation cités plus haut montrent pourtant que les magistrats ne sont pas unanimes pour soutenir les syndics pros les plus critiquables. C’est d’ailleurs bien pour cela qu’ils sont cités ici et que les auteurs en droit de la copropriété sont invités à les commenter plus souvent pour rassurer les citoyens sur l’impartialité des revues les plus célèbres.

 

Quant aux discours de certains syndics pros qui veulent culpabiliser les consommateurs, ils sont déplaisants mais, là encore, on peut s’intéresser au droit de la copropriété sans s’abandonner à des arguments de mauvaise foi.

 

 

Cache-cache déplacé

 

Certains prétendent, en effet, que les syndics ne seraient pas des prestataires mais simplement des mandataires.

 

C’est là une phraséologie abusive.

 

Oui, le syndic NON PROFESSIONNEL NON RETRIBUÉ n’est pas un prestataire.

 

Par contre, dès que le syndic se fait payer, il a un devoir de conseil très lourd qui pèse sur lui (Christelle COUTANT-LAPALUS, « Quelques réflexions sur la responsabilité civile et le syndic de copropriété », Loyers et copropriété, janv. 2014, pp. 7 à 10).

 

La même auteure explique très bien la situation dans un excellent ouvrage récent qu’il faut recommander aux lecteurs, y compris autogestionnaires, car il s’agit d’un exemple de mesure et de neutralité : « La mission du syndic ne se borne pas à la simple administration de la copropriété : il doit en même temps conseiller et informer le syndicat des copropriétaires sur les divers problèmes dont il a connaissance auxquels des solutions doivent être apportées » (Guy VIGNERON , Christelle COUTANT-LAPALUS, Le Syndic de copropriété, Lexis Nexis, 7e édition, 2021, point 379, p. 179).

 

À cela s’ajoute le fait qu’à leur demande, les syndics pros ont obtenu le droit de signer des prestations de services avec les immeubles dont ils assument par ailleurs la gestion.

 

L’article 18-1 A II, alinéa 1, dispose : « Le syndic peut conclure avec le syndicat une convention portant sur des prestations de services autres que celles relevant de sa mission de syndic, après autorisation expresse de l'assemblée générale donnée à la majorité des voix exprimées de tous les copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance. Ces prestations ne peuvent figurer dans le contrat de syndic. »

 

Les choses sont claires au vu de la portion de phrase : « prestations de services autres que celles relevant de sa mission de syndic ».

 

Dans la mission du syndic, il y a donc des prestations de services. C’est le législateur qui l’a dit, à la demande des professionnels de l’immobilier, d’ailleurs (Entretien accordé par Mme DUBRAC, la présidente de l’UNIS, en ligne depuis le 4 septembre 2020)…

 

Les professionnels adeptes de la langue de bois doivent s’en rendre compte. Qu’ils arrêtent de dire que les syndics pros sont de simples mandataires et que tout est de la faute des copropriétaires si ça va mal. Quand on évoque la carence des syndics non pros, il faut donc aussi évoquer les écarts de langage des syndics pros.

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