Dans un arrêt du 18 juin 2025 (n° 23-19.022) publié au bulletin, la Cour de cassation affirme que les courriels émis ou reçus par un salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD et, que le salarié a le droit d'accéder à ces courriels, l'employeur devant lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires...) que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
Il faut saluer cette position très claire de la Cour de cassation.
Les salariés doivent s’en emparer.
1) Faits
M. [I] a été engagé en qualité de directeur du développement, le 12 juin 2001, par la société Duke, aux droits de laquelle vient la société Publicis Sapient France (la société).
En dernier lieu, il occupait les fonctions de directeur associé.
Convoqué à un entretien préalable, avec mise à pied à titre conservatoire, il a été licencié pour faute par lettre du 30 mars 2018.
Le 30 août 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
L'employeur fait grief à l'arrêt de la Cour d’appel de Paris de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour non-respect du droit d'accès aux données personnelles.
La société s’est pourvue en cassation.
2) Pourvoi
L'employeur fait grief à l'arrêt de la Cour d’appel de Paris de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour non-respect du droit d'accès aux données personnelles
La société plaidait notamment que ne peuvent toutefois pas constituer une donnée à caractère personnel les courriels émis ou reçus par un salarié dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'étaient en cause des courriels à caractère professionnel, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 15 du règlement (UE) n° 2016/679
3) Réponse de la Cour
Le pourvoi de Publicis Sapient France est rejeté.
La cour d'appel de Paris, après avoir relevé que le salarié avait demandé la communication des courriels émis ou reçu par lui dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, a constaté, procédant à la recherche prétendument omise, que la société s'était bornée à lui transmettre divers documents (de fin de contrat, bulletins de paie, prévoyance, documents relatifs à une place de parking, une voiture, documents contractuels, avis d'arrêt de travail, suivi individuel de santé, R.I.B, documents relatifs au licenciement) mais ne justifiait pas avoir communiqué ni les métadonnées ni le contenu des courriels émis ou reçus par lui, et n'invoquait aucun motif pour expliquer cette abstention.
La cour d'appel de Paris a pu en déduire que cette abstention était fautive et a constaté qu'elle avait causé à l'intéressé un préjudice dont elle a souverainement apprécié le montant.
Aux termes du point (1) de l'article 4 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), on entend par « données à caractère personnel » toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée « personne concernée »), est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale.
Selon l'article 15, §§ 3 et 4, du RGPD relatif au « Droit d'accès de la personne concernée », la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu'elles le sont, l'accès auxdites données à caractère personnel. Le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement, sous réserve que le droit d'obtenir une copie ne porte pas atteinte aux droits et libertés d'autrui.
Il en résulte, d'une part, que les courriels émis ou reçus par le salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens de l'article 4 du RGPD et, d'autre part, que le salarié a le droit d'accéder à ces courriels, l'employeur devant lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires) que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
4) Analyse
4.1) Messageries professionnelle des salariés = données à caractère personnelle au sens du RGPD
L’obtention des emails envoyés et reçus de leurs messageries professionnelle par les salariés sont le nerf de la guerre en matière de contentieux prud’hommal.
Que cela soit pour la preuve d’un harcèlement, le non-respect du contrôle de la charge de travail et ou des heures supplémentaires ou encore du non respect des durées quotidiennes ou hebdomadaires de travail, l’obtention des courriels émis ou reçus par un salarié via sa messagerie électronique professionnelle sont déterminants dans un contentieux.
Les sociétés le savent très bien.
Elles bloquent systématiquement l’accès à la messagerie professionnelle du salarié en procédure de licenciement et cela souvent dès la convocation à entretien préalable.
Un de nos clients s’était vu déconnecté de sa messagerie professionnelle en sortant de La Poste alors qu’il était allé sa convocation à entretien préalable.
Dans cet arrêt du 18 juin publié au bulletin la Cour de cassation affirme que les courriels émis ou reçus par un salarié grâce à sa messagerie électronique professionnelle sont des données à caractère personnel au sens de l’article 4 du RGPD.
Dans un arrêt du 27 février 2025 RG 24/02772, la Cour d’appel de Rennes avait déjà rappelé que les messages envoyés et reçus de la messagerie professionnelle d’un salarié constituaient une « donnée personnelle ».
La Cour de cassation consacre la messagerie professionnelle comme une donnée à caractère personnel.
Il n’y a plus aucune ambiguité.
4.2) Droit du salarié d’accéder à ses courriels l'employeur devant lui fournir tant les métadonnées que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
La cour de cassation affirme que le salarié a le droit d'accéder à ces courriels, l'employeur devant lui fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires...) que leur contenu, sauf si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux droits et libertés d'autrui.
Dans un arrêt de principe du 19 décembre 2012, la Cour de cassation a déjà considéré, concernant la demande, par un salarié, de la production des contrats de travail, avenants et bulletins de paie de ses collègues de travail, que « le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ».
Aux termes de l’article 15 du RGPD, « la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement […] l’accès auxdites données à caractère personnel ».
L’article 15, en ces points 3 et 4, ajoute en outre que « le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement » étant précisé que « le droit d'obtenir une copie visé au paragraphe 3 ne porte pas atteinte aux droits et libertés d'autrui. »
La CNIL indique également que :
« Lorsqu'une personne concernée souhaite exercer son droit d’accès à des courriels, l’employeur doit fournir tant les métadonnées (horodatage, destinataires…) que le contenu des courriels » ;
Si « Les droits des tiers (secret des affaires et à la propriété intellectuelle, droit à la vie privée, secret des correspondances, etc.) peuvent venir restreindre l’éventail des données accessibles ou communicables" ... "Lorsque le salarié a déjà eu, ou est supposé avoir eu connaissance des informations contenues dans les messages visés par la demande, la communication des courriels est présumée respectueuse des droits des tiers. »
Aussi, dans un arrêt également publié du 3 octobre 2024 (n°21-20.979), la Cour de cassation avait déjà jugé que dès lors que ces conditions étaient réunies, les dispositions du RGPD ne peuvent faire échec à la communication des documents demandées, dès lors que le traitement des données communiquées au salarié à des fins probatoires respecte les conditions de licéité du RGPD.
Source :
Cass. soc. 18 juin 2025, n° 23-19.022
https://www.courdecassation.fr/decision/6852514ea7fdae5a8046f32f
Discrimination et référé article 145 du CPC : une salariée obtient les bulletins de paie de ses 16 collègues https://www.village-justice.com/articles/discrimination-refere-article-145-cpc-une-salariee-obtient-les-bulletins-paie,32853.html
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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