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Aérien : French Bee condamnée à payer 45 000 euros à une chef de cabine pour harcèlement moral, licenciement nul et vexatoire, rappel de variable et d’intéressement (CA Paris 14 mai 2025)

Publié le 17/05/2025 Vu 190 fois 0
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L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mai 2025 n’est pas définitif.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mai 2025 n’est pas définitif.

Aérien : French Bee condamnée à payer 45 000 euros à une chef de cabine pour harcèlement moral, licenciement nul et vexatoire, rappel de variable et d’intéressement (CA Paris 14 mai 2025)

Dans un arrêt du 14 mai 2025 de 17 pages, la Cour d’appel de Paris condamne French Bee à payer à une chef de cabine 45 000 euros pour harcèlement moral, licenciement nul, licenciement vexatoire et rappel de rémunération variable, rappel d’heures supplémentaires, un respect des temps de repos.

 

1)      EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein prenant effet le 1er juin 2016,

Mme X a été embauchée par la société French Bee, spécialisée dans le secteur d’activité du transport aérien de passager et qui compte plus de 10 salariés, en qualité de chef de cabine, dans la catégorie du personnel navigant commercial (PNC). Son salaire minimum mensuel garanti était fixé à hauteur de 1 860 euros.

Au dernier état de la relation contractuelle, la rémunération brute mensuelle de Mme X était de 4 680 euros.

Par un avenant au contrat de travail du 1er décembre 2016, la société French Bee a confié à Mme X la mission temporaire d’instructeur PNC outre ses fonctions de chef de cabine, pour la période du 1er décembre 2016 au 31 décembre 2017.

Par avenant du 17 mai 2017, Mme X a été mutée à La Réunion et par avenant du 19 mai

2017, elle s’est vu confier, pour une période allant du 1er juillet 2017 au 30 juin 2019 au plus tard, une mission supplémentaire de chef de base outre ses fonctions de chef de cabine et sa mission d’instructeur PNC, moyennant une rémunération forfaitaire à hauteur de 4 000 euros outre le versement d’une prime d’objectifs.

Le 14 février 2019, Mme X a été informée qu’elle était suspendue de ses fonctions d’instructeur.

Le 5 avril 2019, Mme X a été suspendue de ses fonctions et s’est vu convoquer à un entretien préalable fixé au 19 avril suivant. Mme X était assistée d’un représentant du personnel.

Par lettre du 3 mai 2019, Mme X s’est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Mme X a été dispensée de préavis.

Par acte du 12 septembre 2019, Mme X a assigné la société French Bee devant le conseil de prud’hommes de Longjumeau aux fins de voir, notamment, juger son licenciement nul à titre principal ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire et constater un harcèlement moral ainsi que voir condamner son employeur à lui payer diverses sommes relatives à l’exécution et à la rupture de la relation contractuelle.

 

Par jugement en date du 8 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Longjumeau s’est déclaré territorialement incompétent et a renvoyé le dossier devant le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges.

 

Par jugement du 3 septembre 2021 rendu en formation de départage, le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges a statué en ces termes :

- Condamne la société French Bee prise en son représentant légal à verser à Mme X les sommes suivantes :

* La somme de 2 000 euros au titre du non-respect des temps de repos ;

* La somme de 16 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* La somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

- Ordonne la remise de bulletins de paie, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi rectifiés ;

- Dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une astreinte ;

- Condamne la société French Bee prise en son représentant légal à rembourser à Pôle emploi les allocations chômage dans la limite de 6 mois ;

- Ordonne l’exécution provisoire ;

- Condamne la société French Bee prise en son représentant légal aux dépens.

 

Par déclaration du 21 octobre 2021, Mme X a interjeté appel de ce jugement, intimant la société French Bee.

2)      Motivation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mai 2025

Dans un arrêt du 14 mai 2025, la cour d’appel de Paris :

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a condamné la société French Bee à verser à Mme X la somme de 16 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- rejeté les demandes de Mme X au titre du harcèlement moral ;

STATUANT A NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :

CONSTATE que le licenciement de Mme X est nul ;

CONDAMNE la société French Bee à payer à Mme X les sommes de :

- 5 000 euros au titre du reliquat de rémunération variable ;

- 1 967, 31 euros à titre de rappel de participation et intéressement de l’année 2019 ;

- 7 000 euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;

- 29 000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement nul ;

- 1 000 euros de dommages et intérêts en raison du caractère vexatoire du licenciement ;

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la

réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et que les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne ;

REJETTE la demande de Mme X au titre du reliquat d’indemnité compensatrice de préavis ;

CONDAMNE la société French Bee à payer à Mme X la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE le surplus des demandes.

2.1) Sur l’exécution du contrat de travail :

 

2.1.1) Sur la demande de rappel au titre de la rémunération variable :

Mme X sollicite une somme de 5 000 euros bruts à titre de rappel de rémunération variable pour la période allant du 1er juillet 2017 au 31 décembre 2018, outre 500 euros au titre des congés payés afférents. Elle relève que le premier juge n’a pas statué sur cette demande. Elle fait valoir qu’aucun objectif en sa qualité de chef de base ne lui a jamais été fixé, et qu’elle n’a eu aucun retour écrit de son entretien annuel effectué en septembre 2018, en dépit de ses demandes. Elle expose qu’alors qu’aucun objectif ne lui avait été fixé pour les années 2017, 2018 et 2019, son supérieur hiérarchique M. Y a arbitrairement décidé de ne lui allouer qu’une somme de 2 000 euros en octobre 2018, en décidant discrétionnairement qu’elle n’avait atteint que 50 % de ses objectifs.

La société réplique que les objectifs auxquels étaient subordonné le quantum de la prime éventuelle étaient discutés avec M. Y et que la salariée ne les a jamais atteints. Elle précise que la somme versée en décembre 2018 ne correspond pas au paiement de la prime d’objectifs prévue par le contrat de travail mais au versement d’une prime octroyée à titre exceptionnel pour récompenser l’ensemble des salariés présents au sein de la compagnie depuis son lancement.

A titre préliminaire, il sera relevé que selon l'article 954 du code de procédure civile, la cour

ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Si Mme X indique solliciter, dans le corps de ses conclusions, une somme de 1 000 euros au titre de l’année 2019, cette demande n’est pas reprise dans le dispositif et la cour n’en est donc pas saisie.

 

Il résulte de la combinaison des articles 1104 du code civil et L. 1221-1 du code du travail que, lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme s'il avait réalisé ses objectifs.

 

En l’espèce, l’avenant n°3 du contrat de travail de Mme X lui confiant les fonctions de chef de base prévoyait le versement d’une prime d’un montant d’un mois de salaire, soit 4 000 euros en cas de réalisation de 100 % des objectifs.

 

Il ne résulte d’aucune pièce du dossier que des objectifs auraient été portés à la connaissance de la salariée.

En outre, il est constant que le droit au paiement de cette rémunération s’acquiert au prorata

temporis du temps de présence de la salariée dans l'entreprise au cours de l'exercice.

Enfin, selon l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La société ne justifie pas, en l’espèce, du paiement de la rémunération variable due à l’appelante.

Dans ces conditions, la demande de Mme X est fondée et il y a lieu de condamner la société au paiement de la somme réclamée, ajoutant sur ce point au jugement qui n’a pas statué sur cette demande.

 

2.1.2) Sur le rappel de prime d’intéressement et de participation :

 

Mme X sollicite à ce titre une somme de 1 967, 31 euros à titre de rappel de participation et intéressement de l’année 2019 et fait valoir que le jugement n’a pas statué sur cette demande. Elle soutient qu’elle avait reçu la somme de 447,50 euros au titre de l’intéressement et de 1 217,19 euros au titre de la participation, soit la somme totale de 1 664, 69 euros, elle a été informée que ses collègues avaient perçu une somme de 3 632 euros. Elle indique qu’elle n’a jamais été informée des critères de répartition de ces sommes et que la société ne justifie pas du paiement des sommes et de leurs modalités de calcul.

 

La société sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté cette demande et fait valoir que les sommes versées à la salariée sont conformes aux modalités fixées par les dispositifs d’épargne salariale en vigueur au sein de la société, et que Mme X a été informée des modalités retenues pour chacun de ses dispositifs lorsqu’elle a reçu le premier versement en 2020 au titre de l’année 2019.

 

2.1.3) En ce qui concerne l’intéressement :

 

Selon l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l’espèce, il est constant qu’un dispositif d'intéressement a été mis en place au sein de l’entreprise, l’employeur ne produisant toutefois aucun élément à cet égard.

Il ressort du bulletin d’intéressement pour l’exercice 2019 produit par la salariée que celle ci s’était vu attribuer, pour cette période, une somme de 447,50 euros, ce bulletin mentionnant par ailleurs une enveloppe de 276 854,82 euros.

 

La société ne justifie pas lui avoir remis, conformément aux dispositions de l’article D. 3313-9 du code du travail dans sa version en vigueur du 1er janvier 2016 au 29 juin 2020, une fiche comportant toutes les mentions prévues par ce texte, et notamment le montant moyen perçu par les bénéficiaires, et comportant, en annexe, une note rappelant les règles essentielles de calcul et de répartition prévues par l'accord d'intéressement.

L’employeur ne communique en outre aucun élément permettant d’apprécier le calcul du montant de l’intéressement alloué à Mme X.

 

Il en résulte que la salariée est fondée à se prévaloir d’une créance à cet égard.

 

2.1.4) En ce qui concerne la participation :

 

Selon l’article L. 3322-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise. Elle prend la forme d'une participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l'entreprise, constituant la réserve spéciale de participation.

 

L’article D.3323-13, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit que l'employeur présente, dans les six mois qui suivent la clôture de chaque exercice, un rapport au comité social et économique comportant notamment les éléments servant de base au calcul du montant de la réserve spéciale de participation des salariés pour l'exercice écoulé ainsi que des indications précises sur la gestion et l'utilisation des sommes affectées à cette réserve.

 

L’article D. 3323-16 du même code prévoit en outre que la somme attribuée à un salarié en application de l'accord de participation fait l'objet d'une fiche distincte du bulletin de paie, mentionnant notamment le montant total de la réserve spéciale de participation pour l'exercice écoulé, le montant total des droits attribués à l'intéressé et comportant, en annexe, une note rappelant les règles de calcul et de répartition prévues par l'accord de participation.

 

En l’espèce, il est constant que la salariée s’est vu attribuer une somme de 1 217,19 euros au titre de la participation.

L’employeur ne produit aucun élément permettant de justifier de l’information de Mme X prévue par les dispositions précitées, ni à apprécier le calcul du montant alloué à l’intéressée, et ne verse aucune pièce permettant de contredire les allégations de la salariée.

 

Dans ces conditions, la salariée est fondée à se prévaloir d’une créance à cet égard. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de condamner la société à verser à l’appelante la somme réclamée de 1 967, 31 euros à titre de rappel de participation et intéressement de l’année 2019, ajoutant au jugement sur ce point.

2.1.5) Sur le non-respect des temps de repos :

 

La société sollicite l’infirmation du jugement à cet égard et soutient que l’appelante n’apporte aucun élément suffisamment précis et pertinent pour étayer la réalité d’un travail supplémentaire qu’elle aurait été contrainte d’effectuer sur son temps de repos. Elle indique que la salariée ne respectait pas ses temps de repos malgré les nombreuses demandes adressées en ce sens par son supérieur hiérarchique.

 

Mme X sollicite la confirmation du jugement, et fait valoir que son supérieur hiérarchique n’hésitait pas à la faire travailler y compris pendant ses jours de repos.

 

Les articles R.6525-1 à R.6525-40 du code du travail régissent la durée du travail et les congés des personnels navigants, l’article R.6525-12 prévoyant qu’indépendamment des temps d'arrêt qui suivent obligatoirement les périodes de vol, le personnel navigant bénéficie à sa base d'affectation de temps d'arrêt périodiques dont il fixe les modalités.

 

Selon l’article 1353 du code civil, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Il résulte de ces dispositions que la charge de la preuve du respect des temps d’activité et de repos et des congés applicables en la matière incombe à l'employeur.

 

En l’espèce, si la société se prévaut d’échanges de courriels au terme desquels le supérieur hiérarchique de Mme X lui demandait de respecter ses temps de repos, de congés ou d’arrêt et notamment de « gérer son temps pour décrocher pendant les congés », les trois courriers électroniques qu’elle produit ne permettent pas d’établir que l’employeur a respecté les dispositions applicables en la matière.

 

Il résulte au contraire des pièces versées aux débats qu’ainsi que l’a relevé la juridiction prud'homale, les temps de repos obligatoires entre deux vols n’étaient pas systématiquement respectés par la société French Bee, Mme X ayant ainsi été contrainte de travailler pendant son repos le 24 mars 2017 suite à la demande de son supérieur hiérarchique de l’accompagner a une réunion chez un fournisseur, ou encore le 21 septembre 2017, sur un temps de repos obligatoire avant un vol long-courrier, en raison d’une tache urgente demandée la veille à 18h48.

Il ressort également du planning et d’un courriel produits par la salariée qu’alors qu’elle se trouvait en repos 16 mars 2018, son responsable lui a proposé une formation le jour même de 13 à 18h.

 

 

Dans ces conditions, c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur à lui verser une somme de 2 000 euros et le jugement sera donc confirmé sur ce point.

 

2.1.6) Sur la demande au titre de l’indemnité pour travail dissimulé du fait du non-paiement des heures supplémentaires

 

Mme X fait valoir que l’élément intentionnel de la dissimulation de salaire est caractérisé, l’employeur, qui n’a pas respecté les temps de repos, ayant parfaitement connaissance de ses horaires de travail et donc de ses temps de repos.

La société conteste ces allégations et demande la confirmation du jugement.

Pour allouer une indemnité pour travail dissimulé en application de l’article L. 8221-5 du code du travail, le juge doit rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation, le seul fait de mentionner sur la fiche de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement exécuté ne suffisant pas à caractériser une intention de dissimulation.

 

En l’espèce, au regard des éléments du dossier, l’intention de dissimulation de la société French Bee n’est pas établie. Par suite, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Mme X tendant à l’octroi d’une indemnité pour travail dissimulé.

 

2.1.7) Sur le harcèlement moral :

 

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

 

Selon l’article L. 1152-2 du même code, aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-21, qui vise notamment le licenciement.

 

L’article L.1154-1 de ce code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.

En l’espèce, Mme X soutient qu’elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral dès lors qu’à son arrivée à La Réunion en juillet 2017 pour l’ouverture de la base, elle ne disposait pas des moyens nécessaires à l’exécution de ses missions de Chef de base, qu’elle a été victime d’une mise à l’écart et d’un isolement par le reste de l’équipe, ainsi que de tentatives de déstabilisation par la mise en doute des capacités de jugement et de décision, qu’elle a subi des propos et manœuvres hostiles, intimidantes et à caractère vexatoires de la part de son supérieur hiérarchique M. Y, ainsi qu’une suspension abusive et injustifiée de ses fonctions, qu’elle s’est vu en outre attribuer des tâches à caractère dévalorisant, et qu’elle a, enfin, souffert d’accusations infondées de comportement déloyal et menace de poursuite pénale. Elle indique qu’il en est résulté une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

 

En premier lieu, s’agissant des faits relatifs à l’absence de fourniture des moyens nécessaires à l’exécution de ses missions de chef de base, l’appelante fait valoir se trouvait privée d’accès informatiques à l’intranet et à ses dossiers de travail, qu’elle n’a obtenu qu’au mois de mars et avril 2018 après plusieurs relances orales et écrites, qu’elle s’est vu refuser l’accès au parking et contrainte d’utiliser le parking visiteur payant éloigné de son bureau pendant de nombreux mois, qu’elle n’a obtenu un badge d’accès qu’en janvier 2019 et que la salle dédiée à la préparation des vols ne disposait pas de ligne téléphonique et ne permettait pas d’y entreposer des documents, étant ouverte à tout le personnel.

 

Elle produit, au soutien de ses allégations :

- des courriels qu’elle a adressés à sa hiérarchie notamment les 20 septembre, 9 octobre et

19 décembre 2017, aux termes desquels elle sollicitait l’aménagement d’un bureau et du matériel informatique ainsi qu’un accès téléphonique, ainsi qu’une réponse qui lui avait été adressé le 19 décembre 2017 lui indiquant ne pas avoir de matériel informatique en attente Cour d’Appel de Paris  et que « rien n’a été remis [au] transitaire OMF » et un mail du 27 février 2018 dont il résulte que le matériel informatique était disponible mais en attente de la facture permettant son envoi en service fret et des échanges montrant que ce matériel n’a été reçu qu’à la fin du mois de mars 2018 ;

- des échanges de courriels du mois d’octobre 2017 au mois de décembre 2018, montrant qu’elle ne disposait pas d’un accès au parking et était contrainte d’utiliser un parking payant éloigné ce qui l’obligeait en outre à transporter divers documents et cartons en extérieur et la mettait en difficulté les jours d’intempérie.

 

Au regard de ces éléments, les faits sont établis.

En deuxième lieu, s’agissant des faits relatifs à sa mise à l’écart et son isolement par le reste de l’équipe, et à des tentatives de déstabilisation par la mise en doute des capacités de jugement et de décision, Mme X soutient tout d’abord qu’alors qu’elle était la PNC la plus expérimentée, elle n’était conviée à participer à aucun des vols inauguraux avec le Chef PNC, ni à l’ouverture de la base de la Réunion, en dépit de ses fonctions de chef de base, ce qui provoquait l’incompréhension de ses collègues.

Ce fait, dont la matérialité n’est pas contestée par la société, est établi. Mme X fait également valoir qu’elle était en outre écartée du tutorat des chefs de cabine, contrairement aux autres instructeurs.

Elle produit à cet égard des échanges de mails dont il résulte qu’elle ne figurait pas parmi les « mentors » désignés pour les nouveaux arrivants par son supérieur hiérarchique, M. Y, auquel elle avait adressé un courriel indiquant : « [y] a-t-il une raison pour que je ne sois pas dans la liste ? oubli ? J’aurais bien aimé moi », celui-ci répondant : « On en rediscutera, mais il y aura d’autres occasions ».

Ce fait est établi.

Mme X soutient en outre qu’elle avait reçu des consignes contradictoires pour organiser les animations nécessaires à l’exercice de ses fonctions.

Elle indique que la directrice des ressources humaines lui a ainsi demandé d’organiser une sortie en février 2018, mais en la contraignant à communiquer pour ce faire sur l’intranet Workplace, très peu utilisé par salariés et alors que toutes les communications sur les animations se faisaient sur les messageries professionnelles, ce qui vouait cette animation à l’échec en l’absence de visibilité, et qu’elle s’est heurtée au silence de la direction des ressources humaines sur ce point.

Au vu des échanges de courriels produits par l’appelante, ces faits sont établis.

Mme X fait également valoir qu’elle n’a jamais reçu son compte-rendu de son entretien d’évaluation 2018 et que M. Y a décidé du montant de sa prime sur objectifs alors que les objectifs ne lui avaient jamais été fixés.

 

Ces faits sont établis.

 

 

 

La salariée ajoute qu’elle a été dénigrée sur le groupe Whatsapp ainsi que le lui rapportait un collègue. Il ressort de l’échange qu’elle produit à cet égard en pièce n° 54 que ce fait est établi.

L’appelante soutient par ailleurs que son employeur lui a demandé d’assurer un remplacement alors qu’elle avait demandé une modification de planning en raison des obsèques de sa mère. Elle précise que la directrice des ressources humaines ne lui a jamais présenté de condoléances au décès de sa mère, et que ce n’est que sur son insistance qu’elle a obtenu de ne pas réaliser de vol le jour des obsèques, le 30 mars 2018.

Il ressort des échanges de courriels produits que le dimanche 25 mars 2018, la salariée a prévenu M. Y, son responsable, ainsi que M. Z , rostering manager (gestionnaire des effectifs) du décès de sa mère, précisant ne pas se sentir capable de partir en vol le lendemain et que les obsèques qu’ils devraient avoir lieu à la fin de la semaine, le jeudi ou le vendredi.

Si M. Z lui a indiqué le jour même lui présenter toutes ses condoléances et l’avoir retirée du vol en question et mise en congés, il ressort des éléments produits qu’il lui a ensuite demandé dès le lendemain, compte tenu de deux congés maladie, si elle pouvait assurer un vol le vendredi 30 mars au soir, la salariée lui répondant en ces termes : « comme je t’ai dit j’ai les obsèques en fin de semaine, je pars mercredi soir, j’arrive jeudi, j’ai 6h de route. Vendredi la cérémonie religieuse et samedi la crémation. Voilà quoi », son interlocuteur lui répondant : « OK c’est noté. Bon courage ».

Les faits sont établis.

La salariée soutient en outre qu’elle était la seule à se voir interdire d’effectuer des surclassements sur un prétexte mensonger et cela contrairement à ses collègues, et qu’elle s’est vu adresser un reproche injustifié en octobre 2017. Elle ajoute que ses décisions relatives aux choix de ses collaborateurs et aux titularisations n’étaient jamais respectées.

En l’absence de tout élément à cet égard, ces faits ne sont pas établis.

 

Mme X fait valoir qu’elle a subi un retard dans l’attribution d’une clé programmée pour les trolleys d’articles Duty Free, ce qui l’a mise dans l’impossibilité de bénéficier d’une clé programmée pendant plus de 8 mois malgré ses demandes, et a compliqué l’exécution de ses tâches de travail dès lors que l’absence de terminaux de paiement et de tablettes de support des ventes générait un inconfort important pour les passagers et une baisse conséquente des ventes impactant les commissions de son équipage.

Au regard des échanges de courriels produits en pièce n°39, ce fait est établi. Mme X fait également grief à son employeur de l’avoir informée que la formation technique qu’elle devait délivrer à des stagiaires devait avoir lieu en français, alors qu’elle s’est aperçue le jour de la formation que l’un des stagiaires était étranger, ce qui l’a mise fortement en difficulté devant les élèves en l’obligeant à communiquer en anglais sans s’être préparée.

 

 

S’il ressort des pièces produites que son supérieur hiérarchique avait en effet indiqué que les cours pouvaient être préparées en français, la présence inattendue d’un stagiaire non francophone et les difficultés alléguées ne sont pas établies.

 

Mme X se plaint en outre de reproches en contradiction avec les consignes données aux instructeurs, indiquant notamment qu’en juin 2018, M. W, « cabin crew base manager » (chef de base du personnel de cabine) avait indiqué par qu’une case du formulaire de vol de familiarisation était destinée aux commentaires des chefs de cabine, et lui avait pourtant reproché le 27 février 2019 d’avoir mentionné un commentaire en tant que chef de cabine dans cette case.

 

Elle fait également valoir que son responsable direct, M. Y, avait mis en cause ses capacités professionnelles en lui reprochant d’avoir préparé un projet de formations en français et en lui indiquant, en mettant en copie la direction des ressources humaines :

« Comme tu le sais, toutes nos formations PNC sont en anglais ».

 

Au regard des échanges de courriels produits en pièces n°41 et 42, ces faits sont établis.

 

Enfin, la salariée soutient qu’elle a été maintenue dans une situation anxiogène qui s’est traduite à compter du 14 février 2019 par des griefs professionnels abusifs et excessifs. Elle fait valoir que son employeur souhaitait, dès le mois de septembre 2018, mettre fin à la relation de travail et qu’il prétend à tort que les formations adaptées n’ont pu avoir lieu en raison de ses arrêts maladies, alors que les dates de ses arrêts l’auraient permis.

 

Mme X produit notamment, au soutien de ces allégations :

 

- une attestation établie par une collègue de travail, Mme Lefebvre, dont aucun élément ne permet de remettre en cause la valeur probante et qui indique que dès le mois de septembre 2018 M. Y l’avait sollicitée, avec d’autres collègues, afin de « réunir des informations » concernant Mme X dans le but d’entreprendre des actions à son encontre ;

- un document (pièce n°37) relatif aux procédures prévues en cas d’échec de performance

(« unsatisfactory ») montrant que la société devait en cette hypothèse organiser une deuxième évaluation (« line check ») après une formation au sol (« ground course ») ;

- un courriel du 12 mars 2019 lui annonçant un plan de formation, ainsi qu’un courriel du

29 mars 2019 faisant état d’une formation prévue à la fin du mois d’avril 2019 ; aux termes de ce dernier mail, M. Y prend note de sa demande de formation, lui donnant une série d’instructions relatives à un « management pro-actif » et indique : « cela fait maintenant depuis le 14/02/2019 que nous t’avons temporairement suspendu la qualification instructeur. J’espère que tu auras su mettre ces quelques semaines à profit afin de renforcer tes connaissances de nos procédures afin que celles-ci [soient] infaillibles

et te permettront ainsi d’aborder sereinement ta formation prévue à la fin du mois d’avril » ;

- son bulletin de salaire faisant état de ses arrêts maladies du 2 au 8 mars et les 27 et 28 mars 2019, donc de dates compatibles avec le suivi de la formation prévue ;

- sa convocation à un entretien préalable à licenciement dès le 5 avril 2019.

 

Au regard de ces éléments, les faits sont établis.

 

En troisième lieu, s’agissant des faits relatifs à des propos et manoeuvres hostiles, intimidantes et à caractère vexatoires de la part de M. Y, Mme X soutient qu’à l’occasion d’une conversation téléphonique du 14 février 2019, concernant le debriefing de Mme Guinard, celui-ci a adopté un ton autoritaire ignorant ses réponses et lui coupant la parole.

 

La salariée ne produit toutefois aucun élément permettant d’établir la matérialité de ce grief, démentie par l’attestation produite par l’employeur en pièce n° 59. L’appelante soutient également que le 5 avril 2019, la société a brutalement supprimé ses accès à sa messagerie professionnelle, sans la prévenir et alors que la procédure de licenciement n’était pas encore été initiée.

 

Au regard des pièces produites n°46 et 86, ces faits sont établis.

 

En quatrième lieu, s’agissant des faits relatifs à la suspension abusive et injustifiée de ses fonctions, l’appelante soutient qu’elle a été remplacée dans sa fonction de chef adjointe aux uniformes, sans même en être avertie, et qu’elle a appris ce remplacement par hasard, de même qu’elle a appris fortuitement, en janvier 2019, que sa mission de joindre les PNC de sa base pour le suivi de leur de contrat et l’annonce de leur titularisation serait désormais confiée à une secrétaire PNC de Paris. Elle ajoute que M. Y lui a annoncé la suppression de ses missions d’instructeur lors de l’appel téléphonique du 14 février 2019.

 

Elle indique que la circonstance que la société n’ait jamais pris la peine de l’informer atteste de sa situation d’isolement et du manque de considération de son employeur.

 

La matérialité de suspensions de fonctions est établie et la circonstance que Mme X n’a appris que fortuitement la suspension de certaines missions n’est pas contestée.

En cinquième lieu, s’agissant de l’attribution de tâche à caractère dévalorisant, la salariée soutient qu’à l’occasion de son premier jour de travail en qualité d’instructrice, M. Y absent, Mme B lui a demandé de ranger seule le local des uniformes contenant des cartons sales et très lourds, et de nettoyer les placards.

 

Ces faits, contestés par la société, ne sont toutefois établis par aucune pièce.

 

En sixième lieu, s’agissant des accusations infondées de comportement déloyal et de menaces de poursuite pénale, l’appelante soutient qu’elle a été accusée, postérieurement à son licenciement et par un courrier du 5 juillet 2019, d’avoir enregistré une conversation à l’insu de son interlocuteur et menacée à tort de poursuites pénales par son employeur. Elle produit le courrier litigieux établissant ce fait.

 

En ce qui concerne la dégradation des conditions de travail et de l’état de santé, il ressort des éléments produits par la salariée et notamment du certificat médical établi le 25 avril 2019 que celle-ci a été suivie « à raison d’un mal-être profond » qu’elle a décrit comme directement en rapport avec « un vécu conflictuel avec sa hiérarchie et une situation de harcèlement et d’isolement, son état clinique s’étant « décompensé mi-février 2019 » au moment où elle a « indiqué ne pas avoir supporté une communication hiérarchique agressive ». Cet état a donné lieu à « de multiples consultations afin de permettre son accompagnement (…), qui a été bénéfique mais insuffisant compte tenu de la persistance des relations hiérarchiques estimées de plus en plus agressives et non justifiées, surtout depuis février 2019 ».

Aux termes du certificat médical du 16 février 2021, le médecin a indiqué que l’intéressée souffrait d’« angoisses et phobies sociales l’entravant dans sa recherche de nouvel emploi ».

 

La dégradation des conditions de travail et de l’état de santé de l’appelante sont établies.

 

Il en résulte que les éléments ainsi présentés par Mme X, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

 

L’existence d’agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

S’agissant des faits relatifs à l’absence de fourniture des moyens nécessaires à l’exécution des missions de la salariée, l’employeur, qui se borne notamment à soutenir que la société ne dispose d’aucuns services généraux et qu’il appartient à chaque manager de gérer directement les problématiques techniques et logistiques rencontrées, ne produit aucun élément permettant de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.

S’agissant des faits relatifs à sa mise à l’écart et son isolement en l’absence notamment d’invitation de la salariée à participer à aucun des vols inauguraux, l’employeur soutient sans l’établir que la participation à un vol inaugural était en principe réservé au président de la compagnie et aux autres membres de la direction.

 

S’agissant du retrait des fonctions de Mme X, la société produit des éléments relatifs à des difficultés rencontrées par la salariée dans l’exercice de ses fonctions, notamment des échanges de courriels, ou encore à l’existence d’encouragements ou d’un accompagnement de la part de sa hiérarchie, tels que des mails de M. Y.

 

Il ressort ainsi du courriel du 24 juillet 2017 que son responsable lui a expliqué une erreur de communication de la salariée vis-à-vis d’une collègue et le fait que cette dernière pouvait s’être sentie traitée comme une enfant, et concluait : « il faut que tu apprennes la diplomatie tout en restant ferme sur tes ambitions. Les deux sont conciliables et tu vas y arriver ».

 

Aux termes d’un courriel du 24 mai 2018, M. Y lui indiquait également qu’elle n’avait pas besoin d’une approbation pour le management de son équipe et qu’elle pouvait bien entendu parler à une salariée de son équipe.

 

Toutefois, d’une part, les pièces produites au soutien des difficultés de Mme X émanent essentiellement du seul responsable M. Y, sans être corroborées par d’autres éléments. D’autre part, aucune pièce ne permet de démontrer qu’ainsi que le soutient la société, certaines tâches auraient été centralisées à Paris.

 

S’agissant du courrier du 5 juillet 2019 reprochant à Mme X d’avoir enregistré une conversation à l’insu de son interlocuteur, la société se borne à soutenir que la salariée a procédé à un tel enregistrement, sans produire aucun élément permettant de l’établir.

 

Au regard de l’ensemble des pièces versées aux débats, les éléments produits par l’employeur ne permettent donc d’établir que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Le harcèlement moral allégué est ainsi caractérisé et le jugement doit être infirmé sur ce point.

Au regard de sa nature, de sa durée et de ses conséquences, il y a lieu d’indemniser le préjudice en résultant en condamnant la société à verser à l’appelante une somme de 7 000 euros.

 

2.2) Sur la rupture du contrat de travail :

 

2.2.1) Sur la nullité du licenciement :

 

L’article L. 1152-3 du code du travail sanctionne par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 1152-1 et L. 1152-2.

 

Au regard des pièces du dossier, le licenciement de Mme X doit être annulé en ce qu’il s’inscrit dans le cadre du harcèlement moral dont elle a fait l’objet dès lors, d’une part, qu’une partie des griefs tirés de son insuffisance professionnelle résultent de la dégradation même de ses conditions de travail et de son état de santé, et, d’autre part, que la sanction prononcée procède elle-même, en l’absence de justification par l’employeur d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, de ce harcèlement.

 

2.2.3) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul :

 

Mme X sollicite l’allocation d’une somme de 32 000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de la nullité de son licenciement.

 

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L. 1235-3 ne sont pas applicables lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité pour harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l’espèce, Mme X justifie qu’elle a bénéficié des allocations de chômage pendant plus de deux ans malgré des recherches actives d’emploi.

 

Compte tenu de l'âge de la salariée au jour de la rupture, de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, la cour évalue à 29 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement nul, infirmant le jugement sur ce point.

 

2.2.4) Sur la demande au titre du reliquat d’indemnité compensatrice de préavis :

L’appelante conteste la durée du préavis d’un mois et demi qui a été appliquée à l’occasion de son licenciement. Elle fait valoir que devant avoir le statut de cadre, elle est fondée à demander le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, l’article R.423-1 du code de l’aviation civile prévoyant un délai de préavis de minimum 3 mois.

Elle relève que l’avenant lui confiant les missions contractuelles d’instructeur prévoyait d’ailleurs un préavis de 3 mois en cas de terme à ses missions. Elle ajoute que son licenciement a été notifié le 10 mai 2019, et que le préavis a commencé à courir le 14 mai 2019 et aurait dû se terminer le 14 juillet 2019, et que compte tenu des congés payés prévus et acceptés du 12 au 21 juillet 2019, le terme du préavis devait être reporté au 24 août 2019.

 

La société réplique que Mme X avait connaissance du fait qu’après la cessation de ses fonctions d’instructeur, qui n’étaient d’ailleurs qu’une activité complémentaire à ses fonctions de chef de cabine, elle demeurait toujours liée par son contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2016. Elle indique que l’article R. 423-1 du code de l’aviation civile ne fait aucunement la distinction entre le statut d’employé, d’agent de maîtrise ou encore de cadre pour fixer la durée du délai de préavis mais que le personnel navigant est classé selon quatre catégories de A à D et que le personnel navigant commercial doit être inscrit sur un registre spécial dit « Registre D » dès lors qu’il possède le « certificat de sécurité sauvetage ».

 

Selon l’article R. 423-1 du code de l’aviation civile dans sa version applicable à l'espèce, le délai de préavis à observer en cas de résiliation du contrat par l'une ou l'autre des parties est au minimum de trois mois, sauf en cas de faute grave.

 

Pour le personnel de la catégorie D, la durée du délai de préavis est égale au minimum à un mois et demi, sauf en cas de faute grave.

 

Selon l’article D. 421-2 du code de l’aviation civile, dans sa version applicable à l'espèce, Les titres donnant droit à l'inscription aux registres sont les suivants, sous réserve qu'ils

soient en cours de validité : (…)

3° Registres C

Catégorie Essais et réceptions :

Licence de parachutiste professionnel possédant la qualification Essais et réceptions ;

Catégorie Travail aérien :

Licence de parachutiste professionnel ;

Licence de photographe navigant professionnel. (…)

4° Registres D

Catégorie Transport aérien :

Certificat de sécurité sauvetage (...).

Il en résulte qu’ainsi que le soutient la société, la salariée relevait de la catégorie D.

Le contrat de travail à durée indéterminée de Madame X prévoyait à cet égard un

préavis d’un mois et demi, et la salariée n’étant pas fondée à se prévaloir des avenants lui

attribuant temporairement des fonctions supplémentaires sui n’étaient plus en vigueur à la

date du licenciement.

Il résulte des pièces du dossier qu’aucune somme ne reste due à la salariée au titre du

préavis dont la durée était d’un mois et demi.

 

Dans ces conditions, sa demande au titre du reliquat d’indemnité compensatrice de préavis doit être rejetée, ajoutant au jugement sur ce point.

 

2.2.5) Sur la demande au titre de l’indemnité pour prise en charge des frais de rapatriement en métropole :

 

Mme X sollicite une somme de 5 395 euros nets à titre d’indemnité pour prise en charge des frais de rapatriement en métropole, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 423-1 du code de l’aviation civile. Elle indique qu’elle n’avait accepté son déménagement à La Réunion, qu’en raison de la promotion dont elle faisait l’objet au sein de la société, et qu’elle a été contrainte de se rapatrier du fait de son licenciement injustifié notifié moins de 2 ans plus tard.

 

La société réplique que les dispositions applicables recodifiées à l’article L. 6523-6 du code des transports, visent la situation dans laquelle le navigant est rattaché temporairement à une base à l’étranger, et que dans la mesure où le changement de base de Madame X ne correspondait pas à la situation visée par l’article L. 6523-6 du code des transports, le contrat de travail envisageait seulement les frais d’emménagement sur l’Ile de la Réunion.

 

Elle en conclut qu’elle n’était donc pas tenue de prendre en charge les frais de rapatriement.

 

Ainsi que le fait valoir la société, l’appelante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 423-1 du code de l’aviation civile, qui ont été abrogées par ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010. Selon l’article L. 6523-6 du code des transports, le contrat de travail qui prévoit, à la demande de l'employeur, l'affectation du navigant sur un poste à l'étranger, comporte les mentions suivantes :

1° La durée du séjour hors de France, qui ne peut excéder, sauf accord entre les deux

parties, une durée fixée par voie réglementaire ;

2° L'indemnité de séjour ;

3° Les congés accordés en fin de séjour et les conditions de rapatriement ;

4° En cas de licenciement, le droit pour l'intéressé, sauf renonciation de sa part, d'être

rapatrié avant l'expiration du préavis et aux frais de l'employeur.

Il ne ressort toutefois d’aucune disposition législative ou réglementaire ni d’aucune stipulation du contrat que la société French Bee devait prendre à sa charge les frais de rapatriement en métropole de la salariée, qui avait bénéficié d’une mutation à durée indéterminée à la Réunion, à la suite de son licenciement.

 

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

2.2.6) Sur la demande de dommages et intérêts en raison du caractère brutal et vexatoire du

licenciement :

 

Indépendamment de la question de son bien-fondé, le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation.

 

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme X s’est vu brutalement, le 5 avril 2019, alors qu’elle se trouvait en congé, coupée de tout accès à l’intranet de la société et de son mail professionnel, et que le 31 mai 2019, l’ensemble des personnels a reçu un courriel indiquant que cette dernière ne faisait plus partie de la société alors que sa période de préavis était en cours et laissant supposer que le système en place n’était pas robuste.

 

Ces éléments caractérisent les circonstances brutales et vexatoires alléguées.

 

Dès lors, il y a lieu de condamner la société à lui payer une somme de 1 000 euros, ajoutant sur ce point au jugement.

 

Le jugement sera confirmé pour le surplus, y compris sur le remboursement des indemnités de chômage.

2.2.7) Sur les intérêts :

Il sera rappelé que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

 

2.2.8) Sur les frais du procès :

Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé sur la condamnation aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

La société sera condamnée aux dépens d’appel, et au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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