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Rémunération variable avec une clause potestative : un commercial d’une société informatique obtient un rappel de commissionnement de 256 000 euros bruts (CA Paris 9 mars 2023)

Publié le Modifié le 17/10/2023 Vu 1 988 fois 0
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Dans un arrêt du 9 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’une clause de rémunération variable d’un plan de commissionnement d’un salarié de Compagnie IBM France était nulle car potestative.

Dans un arrêt du 9 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’une clause de rémunération vari

Rémunération variable avec une clause potestative : un commercial d’une société informatique obtient un rappel de commissionnement de 256 000 euros bruts (CA Paris 9 mars 2023)

 

Aux termes de l’article 1304-2 du Code civil, toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige.

La condition potestative est celle qui ne dépend que de la volonté d’une partie à un contrat.

Le mode de rémunération d’un salarié étant un élément substantiel de son contrat de travail, il doit être clairement fixé et ne peut être modifié de manière unilatérale par l’employeur, sans que l’accord du salarié soit recueilli ; à défaut, elle ne peut s’analyser qu’en une condition potestative susceptible d’entraîner la nullité de la clause contractuelle relative au mode de rémunération qui sera inopposable au salarié.

1)      Faits et procédure

 

M. X a été engagé le 10 juillet 2000 par la Société Compagnie IBM France en tant que Cadre

– Conseiller (Pos III B2 225).

 

Il exerçait, en dernier lieu, des fonctions de “Senior Sales Specialist”.

 

Outre sa rémunération fixe, M. X percevait une rémunération variable.

 

Un nouveau plan de commissionnement a été convenu entre les parties au titre du 1er semestre 2017 dans le cadre duquel il était précisé que Monsieur X percevrait une rémunération variable correspondant à 9% du montant des ventes réalisées, sur un territoire donné et correspondant à une catégorie de clients prédéfinis.

 

Le 22 mars 2018, M X et la société Compagnie IBM France ont conclu une rupture conventionnelle du contrat de travail.

 

La relation contractuelle entre les parties a pris fin le 2 octobre 2018.

 

Le salarié a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris le 4 février 2019 afin de solliciter le paiement d’une partie de la rémunération variable dont il estimait avoir été indûment privé et des sommes complémentaires au titre des indemnités de rupture conventionnelle dont il avait bénéficié.

 

Par jugement du 15 décembre 2020, le Conseil de prud'hommes de Paris a débouté M.

X de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au dépens.

 

Par déclaration en date du 7 janvier 2021, l’intéressé a interjeté appel.

 

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 9 janvier 2023, M. X demande à la Cour de :

- dire son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement du Conseil de prud hommes en ce qu il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes ;

 

statuant à nouveau,

- constater que la Société Y a illicitement plafonné, de manière unilatérale, le montant de sa rémunération variable pour le premier semestre 2017 ;

 

en conséquence,

- dire et juger qu’il aurait dû percevoir l’intégralité de sa rémunération variable pour le premier semestre 2017 ;

- fixer son salaire de référence à 37.883,84 euros brut mensuels (pour la période de mars

2017 à février 2018) ;

 

- condamner la société Compagnie IBM France à lui payer les sommes suivantes :

o 233 104, 59 euros brut à titre de reliquat de rémunération variable pour le premier semestre 2017 ;

o 23 310, 46 euros brut au titre des congés payés afférents ;

o 64 231, 52 euros brut au titre du reliquat d’ allocation de congé de mobilité (article III.3 de la rupture conventionnelle collective) ;

o 6 423, 15 euros brut au titre des congés payés afférents ;

o 36 780, 45 euros brut au titre du reliquat d indemnité pour concrétisation rapide de projet (article III.3 de la rupture conventionnelle collective) ;

o 189 978, 99 euros brut au titre du reliquat de l’indemnité spécifique incitative

(article III. 3 de la rupture conventionnelle collective) ;

o 4 000 euros au titre de l’ article 700 du code de procédure civile.

- ordonner à la société Compagnie IBM France de cotiser au titre de l’article 83 du Code Général des Impôts sur les rappels de salaires, d’ allocation de congé de mobilité et d’ indemnité spécifique incitative ;

- ordonner à la société Compagnie IBM France de lui remettre des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi rectifiés et conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document ;

- dire que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la Société Compagnie IBM France de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud hommes et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt ;

- condamner la Société Y aux dépens éventuels.

 

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 4 janvier 2023, la Société Y demande à la Cour de :

 

- confirmer jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé que l'ajustement opéré sur les commissions de M.X était licite et débouté M.X de l'intégralité de ses demandes

- infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris en ce qu'il l’a débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du CPC et de l'amende civile fondée sur l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

 

En conséquence :

- débouter M. X de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M.X à verser 10 000 euros au profit du Trésor Public en application de l'article 32-1 du Code de procédure civile ;

y ajoutant :

- condamner M. X à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du

CPC ;

- condamner Monsieur X aux entiers dépens d'appel.

 

2)      Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 mars 2023

 

Dans son arrêt du 9 mars 2023 (RG 21/00888), la cour d’appel de Paris :

 

. confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes au

titre de l’allocation de congé de mobilité, de l’indemnité pour concrétisation rapide de

projet et de l’indemnité spécifique incitative,

 

. l’infirme pour le surplus,

 

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

 

. condamne la société Compagnie IBM France à verser à M.X les sommes de:

- 233 104, 59 euros brut à titre de rappel de rémunération variable du 1eer semestre 2017

- 23 310, 46 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

 

. dit que l’employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif,

et une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de cette décision dans le délai de

deux mois suivant la signification du présent arrêt,

 

. dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

 

2.1- Sur la demande de rappel de rémunération variable au titre du premier semestre

2017

 

Le plan de rémunération variable convenu entre la société Compagnie IBM France et M. X pour le premier semestre 2017 stipulait qu’il bénéficierait de 9 % du chiffre d’affaires réalisé sur les contrats énumérés audit plan.

 

Les parties s’accordent à constater que les transactions concernées par le plan de rémunération de M. X portaient sur un montant total de 3 700 073 euros (pièce 9-2 du salarié).

 

La société Compagnie IBM France explique toutefois qu’elle était bien fondée à ajuster la rémunération variable du salarié et que c’est ainsi à bon droit qu’elle ne lui a pas versé 9% du chiffre d’affaires total ainsi réalisé soit 333 006,57 euros mais 99 901,98 euros.

 

Ainsi, elle souligne que les collègues de M.X, qui exerçaient les mêmes fonctions que lui, ne bénéficiaient pas du même plan dit “absolute” que celui ci avait demandé avec insistance, mais d’un plan dit “pool plan” plus adapté et qu’elle avait indiqué au salarié par courriel du 6 février 2017 qu’au delà de 100 % de son espérance de gain, les dossiers seraient étudiés et pourraient faire l’objet d’un ajustement dit “capping” (pièce 5 de la société intimée).

 

Elle fait également valoir que le plan de commissionnement du salarié prévoyait une clause intitulée transaction significative qui l’autorisait à ajuster le montant des commissions versées (pièce 7 de la société intimée).

 

Or, le mode de rémunération d’un salarié constitue un élément de son contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord.

 

Aussi, comme le fait observer le salarié, le courriel par lequel son employeur lui a indiqué que le montant de sa rémunération variable pourra faire l’objet d’un ajustement n’a pas valeur contractuelle et ne peut donc lui être opposé.

 

Par ailleurs, aux termes de 1304-2 du code civil, est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur.

 

En l’espèce, la clause de “transaction significative” stipulée au plan de commissionnement de M. X est ainsi libellée: “on entend par transaction significative toute transaction ou affaire qui a, elle seule, serait supérieure au quota total de l’élément de rémunération variable concerné pour la période de validité du plan. Dans ce cas, le fonctionnement normal du plan s’en trouverait faussé, ce qui entraînerait un paiement disproportionné par rapport à la contribution réelle du collaborateur. En conséquence et afin de rétablir l’équilibre rompu, la direction de la société Y se réserve la possibilité d’ajuster le paiement en se fondant sur la contribution réelle du collaborateur à la signature de cette transaction significative et/ou sur la relation entre ladite transaction significative et le potentiel du territoire pris en compte lors de la détermination du quota. La direction de la Société Y justifiera de cet ajustement”.

 

Ainsi, cette clause ne fixe aucun critère clair, objectif et prédéfini permettant de connaître les modalités de calcul du plafonnement de la rémunération variable et comment “la contribution réelle du collaborateur” est déterminée et permet en conséquence à la société intimée de se réserver le droit d’ajuster le paiement des commissions selon sa seule volonté.

 

Elle est donc potestative et ne peut en conséquence être opposée au salarié.

 

La société intimée ne peut donc s’en prévaloir.

 

Aussi, elle n’avait pas la faculté de plafonner le commissionnement du salarié en se référant au courriel de M.L., directeur SW du 16 janvier 2018 selon lequel : “M  X a un rôle de leader BU Analytics Saas et à ce titre est crédité de toutes les transactions Saas sur l’ensemble du territoire bien qu’il ne joue pas un rôle clé dans chacun de d’entre elles. Pour refléter sa contribution croisée globale : soutien aux transactions, animation d’actions SaaS.. l’évaluation du management est qu’il devrait percevoir 30 % des transactions qui sont également soutenues par d’autres vendeurs directement sur leurs territoires et des vendeurs techniques”(pièce 17 de l’employeur), lequel ne fait de surcroît référence à aucune “transaction significative” ni à aucun élément précis relatif à l’ajustement opéré.

 

M. X est donc en droit de solliciter un commissionnement correspondant à 9% des transactions concernées par son plan de commissionnement d’un montant total de

3 700 073 euros.

 

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de rappel

de commissions calculé sur cette base.

 

La société Compagnie IBM France sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de

233 104,59 euros correspondant à la différence entre ce qu’il aurait dû percevoir

(333 006,57 euros) et ce qu’il a perçu (99 901,98 euros) à titre de rappel de rémunération variable, outre les congés payés afférents.

 

  

2.2- Sur les demandes de revalorisation des indemnités allouées au salarié dans le

cadre de la convention de rupture d’un commun accord

 

Conformément aux dispositions de l’article 1103 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qu’il les ont faites.

 

En l’espèce, la convention de rupture prévoit expressément le montant brut du salaire

(11954 euros) sur la base duquel ont été calculées les indemnités de rupture allouées à M.

X et plus précisément les indemnités de congé de mobilité, pour concrétisation rapide de projet et spécifique incitative.

 

Aussi, M. X qui ne demande pas la nullité de la convention de rupture qu’il a signée, n’a pas la faculté d’en demander la modification pour voir intégrer dans la base de calcul de ses indemnités la part variable de la rémunération qui lui a judiciairement été allouée.

 

Il sera donc débouté des demandes qu’il forme à ce titre.

 

2.3 - Sur les autres demandes

 

L’employeur sera tenu de présenter au salarié un bulletin de paie récapitulatif et une attestation Pôle Emploi conformes aux termes de cette décision dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt et ce, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une astreinte à ce stade.

 

Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation en conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

 

Il n’y a pas lieu d’ordonner à l’employeur de cotiser sur les rappels de salaire alloués au salarié dés lors que ceux-ci, exprimés en brut, sont soumis à cotisation.

 

En raison des circonstances de l’espèce, il apparaît équitable d’allouer à M. X une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé

au dispositif.

 

L’employeur qui succombe sera débouté de ses demandes reconventionnelles

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

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Maître Frédéric CHHUM est membre du conseil de l'ordre des avocats de Paris (2019-2021). Il possède un bureau secondaire à Nantes et à Lille.

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