Dans un arrêt du 19 mars 2025 (n° 22-17.315) publié au bulletin la cour de cassation affirme que l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu'il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ou qu'il a été convenu que le travail s'effectue sous la forme du télétravail.
L'action en paiement de cette indemnité qui compense la sujétion résultant de cette modalité d'exécution du contrat de travail est soumise au délai biennal de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail
1) Faits et procédure
M. [O] a été engagé en qualité de chef des ventes par la société Brasseries Bavaria devenue la société Swinkels Family Brewers France à compter du 15 juin 1998.
Les 19 juillet 2017 et 8 juin 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire et en paiement de diverses sommes au titre de la rupture et de l'exécution du contrat de travail.
Le 16 octobre 2019, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
L'employeur faisait grief à l'arrêt de la Cour d’appel de Riom de l’avoir condamné à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité d'occupation du domicile personnel à des fins professionnelles.
Il s’est pourvu en cassation.
2) Enoncé du moyen
L’employeur arguait « que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles constitue une action portant sur l'exécution du contrat de travail, et se prescrit donc, en application de l'article L. 1471-1, alinéa 1er du code du travail, par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; qu'en jugeant qu'il s'agissait d'une action indemnitaire soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé ce dernier texte par fausse application, et, par refus d'application, l'article L. 1471-1, alinéa 1er du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. »
3) Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1471-1, alinéa 1er, et l'article L. 1222-9 I, alinéa 1er, du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :
Selon le premier de ces textes, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Selon le second, qui figure dans le chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code du travail, intitulé « Exécution et modification du contrat de travail », le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication.
L'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu'il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ou qu'il a été convenu que le travail s'effectue sous la forme du télétravail.
L'action en paiement de cette indemnité qui compense la sujétion résultant de cette modalité d'exécution du contrat de travail est soumise au délai biennal de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail.
Pour condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité au titre de l'occupation du domicile à des fins professionnelles, l'arrêt retient que l'occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail.
L'arrêt ajoute que la demande en paiement de cette indemnité, destinée à compenser le préjudice en résultant, ne constitue pas une action portant sur l'exécution du contrat de travail soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail, mais une action indemnitaire soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Riom mais seulement en ce qu'il condamne la société Swinkels Family Brewers France à payer à M. [O] la somme de 3 360 euros net à titre d'indemnité d'occupation du domicile personnel à des fins professionnelles pour la période comprise entre les 1er juillet 2014 et 31 décembre 2017.
4) Solution
4.1) Sur le droit du salarié à une indemnité de sujétion liée au télétravail
La cour de cassation dans un attendu de principe affirme que l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu'il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ou qu'il a été convenu que le travail s'effectue sous la forme du télétravail.
La Cour de cassation confirme que le télétravail constitue une immixtion dans la vie privée du salarié.
Beaucoup plus révolutionnaire, elle considère que le salarié a droit à une indemnité de sujétion dès lors que qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ou qu'il a été convenu que le travail s'effectue sous la forme du télétravail.
C’est la seconde partie de la phrase qui est novateur car la cour de cassation affirme qu’une indemnité de sujétion liée au télétravail est nécessairement due dès lors que qu'il a été convenu que le travail s'effectue sous la forme du télétravail.
Elle revient clairement sur sa jurisprudence dans laquelle elle affirmait que le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles si un local professionnel n'était pas mis effectivement à sa disposition (cass. soc. 8 nov. 2017, n° 16-18.499 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036003512/).
4.2) Sur la prescription de 2 ans
La Cour d’appel de Riom avait retenu que l’action en demande de paiement de l’indemnité de sujétion liée au télétravail est soumise à une prescription de 5 ans prévue à l’article 2224 du code civil.
La Cour d’appel est censurée par la Cour de cassation qui relève que l'action en paiement de cette indemnité qui compense la sujétion résultant de cette modalité d'exécution du contrat de travail est soumise au délai biennal de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail.
Cette solution est classique.
Cette prescription de 2 ans est courte.
La prescription biennale s’applique également à une demande d’indemnité pour travail dissimulé (cass. soc. 4 sept. 2024, n° 22-22.860)
Source :
Cass. soc. 19 mars 2025, n° 22-17.315 publié au bulletin
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
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