Depuis la pandémie de Covid, les professionnels du tourisme et les transporteurs aériens en particulier sont confrontés à des difficultés sérieuses de trésorerie résultant de l'annulation massive des voyages et des vols. En effet, les différents confinements ainsi que les restrictions de voyage dans le monde entier (fermeture des frontières, suppression ou suspension des visas, etc.), ont eu pour effet d'immobiliser les aéronefs au sol et donc de supprimer tous les déplacements aériens (à l'exception de certains vols de rapatriement).
Ainsi, en cas d'annulation de vol, le règlement n°261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, impose - à son article 8 - au transporteur aérien de rembourser ses passagers dans un délai de 7 jours (à moins que le passager ne choisisse de reporter son voyage à une date ultérieure lui convenant) .
Dans la pratique, les transporteurs aériens parviennent normalement à traiter l'annulation d'un vol en proposant un remboursement dans un délai de 7 jours. Or, du fait de l'annulation de l'intégralité de leurs vols, le traitement des dossiers a nécessité un temps considérable. Surtout, cela a généré des difficultés de trésorerie sérieuses de nature à entrainer la liquidation de certaines compagnies.
Si le règlement européen précité prévoit expressément un remboursement en argent (en espèces, ou encore par virement bancaire ou chèque) d'autres formes de remboursement comme des bons de voyage et/ou d'autres services, ne sont pas automatiquement exclues (Article 7.3 dudit règlement). Dans cette dernière hypothèse, le transporteur devra néanmoins recueillir "l'accord signé du passager".
La CJUE se montre cependant souple sur la forme quant à cette notion "d'accord signé" du passager, car cette modalité peut bien entendu être réalisée par voie électronique, tout en préservant les droits de celui-ci sur le fond. Cela ressort de deux affaires récemment rendues dans un contexte d'annulation de vols au cours de la pandémie de covid.
Ainsi, dans une première espèce (CJUE, 21 mars 2024, C-76/23, Cobult UG c. TAP Air Portugal SA), la Cour de Justice a admis qu'un tel accord signé se déduisait, au moment où le passager rempli une demande en ligne, de la sélection de l'option pour un bon de voyage.
La Cour vérifie que (sur le fond) le passager a bien effectué en ce cas un "choix efficace et informé". Cela suppose en effet selon la Cour que le transporteur aérien l'ait auparavant informé de manière loyale et claire des diverses modalités de remboursement (dont le remboursement sous forme d'argent) qui lui sont offertes. En d'autres termes, le passager doit être en mesure de consentir de manière libre et éclairée au remboursement de son billet sous la forme d'un bon de voyage en lieu et place d'un remboursement sous la forme d'une somme d'argent.
Sur la forme, la Cour confirme que l'envoi d'un formulaire rempli par le passager est suffisant, sans qu'il ne soit besoin que ce formulaire comporte la signature manuscrite ou numérisée du passager. Par conséquent, la signature manuscrite du passager n'est nullement requise pour valider un tel accord.
Dans une seconde espèce cependant, la Cour a estimé que l'accord signé du passager ne pouvait se déduire de la seule création d'un compte de fidélité sur le site Internet du transporteur (CJUE, 19 janvier 2025, C-642/23, Flightright GmbH c/ Etihad Airways).
En effet, la Cour considère que "le passager n'est pas réputé avoir donné son "accord signé" pour le remboursement du billet sous forme de bons de voyage lorsqu'il a créé, sur le site Internet de ce transporteur, un compte de fidélité sur lequel ces bons de voyage devaient être transférés, sans avoir confirmé son accord, par son acceptation explicite, définitive et unique, pour c emode de remboursement".
Pour la Cour, la création d'un compte de fidélité sur le site Internet du transporteur ne suffit pas pour considérer que le passager a émis "une acceptation explicite, définitive et univoque" quant à ce mode de remboursement par bons de voyage, quand bien même le transporteur se serait engagé à créditer sur ce compte de fidélité des "miles".
La voie électronique n'est donc pas remise en cause, mais le transporteur devra justifier de l'information donnée aux passagers quant aux diverses modalités de remboursement offertes, justifiant ainsi une préférence par le passager pour un bon de voyage en lieu et place d'une somme d'argent.
La Cour priviligie ainsi le fond (information du passager) sur la forme (modalité d'expression du choix par le passager).
V.A.