Comment gérer l'incarcération en droit du travail ?

Publié le 30/12/2022 Vu 4 144 fois 0
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Situation rare mais non impossible : l’incarcération d’un salarié ou du gérant de l’entreprise au cours d’une relation de travail. Se pose alors la question de comment gérer ces hypothèses ?

Situation rare mais non impossible : l’incarcération d’un salarié ou du gérant de l’entreprise au co

Comment gérer l'incarcération en droit du travail ?

Situation rare mais non impossible : l’incarcération d’un salarié ou du gérant de l’entreprise au cours d’une relation de travail.

Se pose alors la question de comment gérer ces hypothèses ?


1°/ Sur l’incarcération du gérant de l’entreprise

Première idée venant à l’esprit : Le gérant de l’entreprise est incarcéré, dès lors, étant le représentant légal de l’entreprise, celle-ci ne peut poursuivre aucune activité, de sorte que les contrats de travail de ses salariés seraient automatiquement rompus.

D’un point de juridique, la réponse est tout autre.

En effet, la Cour de cassation juge que « l'incarcération de l'employeur n'est pas une cause de suspension du contrat de travail du salarié » (Cass. soc., 05 mai 2004, n° 03-10.010).

Au regard de ce premier élément, on peut alors justement en conclure que l’emprisonnement de l’employeur ne saurait constituer un cas de force majeure déliant ce dernier de l’ensemble de ses obligations contractuelles vis-à-vis de ses salariés.

Face à cette situation, une des mesures susceptibles d’être prises par l’employeur serait un licenciement pour motif économique.

En pratique, l’incarcération du gérant peut avoir pour conséquence de fermer l’entreprise si celle-ci est amenée à durer plusieurs années ou à engendrer d’importantes pertes économiques.

A notre connaissance, la Cour de cassation n’a jamais été confrontée à un licenciement économique induit par l’emprisonnement de l’employeur.

Du côté des Cours d’appel, celle de PARIS a confirmé le bien-fondé d’un tel licenciement, les difficultés économiques étant consécutives à la cessation d'activité de l'entreprise elle-même induite de l’incarcération du gérant (CA PARIS, 16 mai 2013, RG n° 10/04539).

Dans un même ordre d’idée, le licenciement économique prononcé suite à l’incarcération du gérant ayant entraîné la perte d’agrément d’une société d’ambulances a été jugé régulier, notamment en raison du fait que cette incarcération avait été jugée illégale ultérieurement par le juge pénal (CA AIX-EN-PROVENCE, 22 mai 2012, RG n° 11/10394).

En revanche, la fermeture temporaire de l'établissement durant la procédure pénale avec placement de la gérante sous contrôle judiciaire ne constitue pas une cessation d'activité de l'entreprise et ne saurait justifier un licenciement pour motif économique (CA AIX-EN-PROVENCE, 16 janvier 2014, RG n° 12/20638).

Dès lors, l’affirmation première comme quoi les contrats de travail seraient automatiquement rompus en raison de la peine privative de liberté de la personne physique de l’employeur est fausse.


2°/ Sur l’incarcération d’un salarié

Première idée venant à l’esprit : Le salarié est incarcéré, de facto, son contrat de travail prend fin automatiquement.


Là encore, d’un point de juridique, la réponse est tout autre.

A l’instar de l’hypothèse précédente, l'incarcération du salarié ne constitue pas un cas de force majeure (Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-40.944).

Dès lors, le seul licenciement prononcé sur ce motif n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse. Dans cette hypothèse, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est plus fournie.

En premier lieu, il appartient au salarié de justifier de ses absences auprès de son employeur en lui indiquant qu’il fait l’objet d’une mesure privative de liberté, à défaut de quoi, il peut être considéré en absence injustifié pouvant donner lieu à un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 97-44.631).

De même, le fait de mentir à son employeur quant à la cause de son absence peut justifier un tel licenciement (Cass. soc., 20 juillet 1989, n° 86-45.581).

En revanche, en l’absence de mise en demeure préalable du salarié de justifier de ses absences, le licenciement peut être jugé non-fondé (Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 14-15.293).

En deuxième lieu, même si le salarié a prévenu son employeur du motif de son absence, celui-ci peut tout de même le licencier si son incarcération entraîne un trouble dans l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise l’obligeant à le remplacer (Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-41.788).

Ce trouble sera avant tout caractérisé au regard de la longueur de la peine privative de liberté.

Tel n’est pas le cas par exemple d'une unique absence de courte durée d'un salarié au passé irréprochable et qui avait eu le souci d'en informer, tout de suite, son employeur (Cass. soc., 25 juin 1980, n° 79-40.292).

En troisième et dernier lieu, comme évoqué précédemment, l’incarcération du salarié ne met pas fin automatiquement au contrat de travail, celui-ci étant toujours existant une fois le salarié libre. Il est donc légitime à reprendre son poste si son employeur ne l’a pas licencié.

Que se passe-t-il alors ?

Tel a été la situation jugée récemment par la Cour d’appel de NIMES (CA NIMES, 11 octobre 2022, RG n° 19/03731).


Il était question d’un salarié qui a été en prison d’avril 2008 à septembre 2016. Durant ce laps de temps, il n’a jamais été licencié par son employeur de l’époque.

A sa sortie, il s’est donc présenté sur son lieu de travail mais l’entreprise avait été fermée depuis plusieurs années. Il a donc saisi les juridictions prud’homales en vue de faire acter un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de cette fermeture et en l’absence d’envoi d’une lettre de licenciement.

La Cour d’appel de NIMES rappelle que si le licenciement recouvre toute rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur formalisée comme telle, cette qualification peut également être retenue même si l'employeur n'exprime pas formellement la volonté de mettre fin au contrat de travail du salarié.

Or, au cas d’espèce, le salarié n'a fait l'objet d'aucun licenciement et il ne peut être considéré comme démissionnaire. Ce faisant, il a trouvé porte close lorsqu'il s'est présenté à l'entreprise à sa sortie de prison.

La fermeture de l'entreprise quel qu'en soit le motif constitue non seulement un motif de rupture du contrat de travail, mais également une manifestation de volonté de l'employeur de ne pas poursuivre l'exécution des contrats de travail en cours, constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Dès lors, l’affirmation première comme quoi le contrat de travail d’un salarié prend fin automatiquement à son incarcération est fausse.

Le Cabinet reste à votre disposition pour traiter toute difficulté en lien avec l’exécution du contrat de travail.

Maître Florent LABRUGERE

Avocat au Barreau de LYON

https://www.labrugere-avocat-lyon.fr/


N.B : Cet article est mis en ligne uniquement à des fins d'information. En raison de l'évolution permanente de la législation et la jurisprudence, le Cabinet ne peut toutefois pas garantir son application actuelle et vous invite à l’interroger pour toute question juridique ou problème concernant le thème évoqué.

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