I. RAPPEL DE LA JURISPRUDENCE
Suivant une jurisprudence constante, toute banque est tenue d'un devoir de mise en garde envers ses clients emprunteurs.
Cela signifie qu'elle doit vérifier que le crédit demandé ne présente pas de risque d’endettement pour l'emprunteur au regard de sa capacité de remboursement (Ch. mixte, 29 juin 2007 n°05-21.104).
Pour ce faire, le banquier va étudier les capacités financières de son client.
À ce titre, le banquier doit justifier avoir satisfait à son obligation de se renseigner sur la capacité d’emprunt de son client au regard de ses revenus et de son patrimoine immobilier. Si le client est en mesure de rembourser le crédit, la banque est exonérée de tout devoir de mise en garde. En revanche, dans le cas contraire, si le crédit est excessif, la banque devra alerter son client qu'il encourt un risque d’endettement si le crédit lui est accordé.
Autrement dit, contrairement à une fausse croyance, le devoir de mise en garde de la banque prêteuse n’est pas systématique : si le client est en mesure, au regard de ses capactiés financières de rembourser le crédit, la banque n'est pas tenu d'alerter son client :
"Mais attendu qu'après avoir justement énoncé que le devoir de mise en garde du banquier n'existe qu'en cas de risque d'endettement excessif de l'emprunteur, l'arrêt relève que ce risque n'apparaît pas au vu de la fiche de renseignements de solvabilité certifiée exacte et signée par les emprunteurs qui n'ont pas ultérieurement informé la banque d'un quelconque changement intervenu dans leur situation ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche prétendument omise, le prêteur n'ayant pas à vérifier l'exactitude de la situation financière déclarée par les emprunteurs, a ainsi légalement justifié sa décision" (Civ. 1ère, 1er juin 2016, n° 15-15.051).
II. FAITS DANS LA PRESENTE AFFAIRE
Le CREDIT AGRICOLE octroie un prêt à une personne afin d'acquérir un bien immobilier au titre de sa résidence principale. Des échéances demeurant impayées, la banque prononce la déchéance du terme du prêt, puis assigne l’emprunteur en paiement du solde du crédit avec les intérêts encourus. Pour se défendre, l'emprunteur demande à ce que la banque soit condamnée à à lui payer des dommages-intérêts au motif qu’elle avait manqué à son devoir de mise en garde !
III. POSITION DU TRIBUNAL DE QUIMPER
Par jugement en date du 20 septembre 2016, le tribunal de QUIMPER a donné gain de cause au débiteur :
- condamné l'emprunteur à payer au Crédit agricole la somme de 33 340,09 euros avec intérêts à 4,50 % sur 33 115,54 euros à compter du 3 avril 2015, avec capitalisation des intérêts par année entière, en application de l'article 1154 du code civil,
- condamné le Crédit agricole à payer à sa cliente pour manquement au devoir de mise en garde une somme équivalente,
- ordonné la compensation entre les dettes respectives des parties.
IV. POSITION DE LA COUR D'APPEL DE RENNES
Le Crédit Agricole interjette appel, mais en vain !
En effet, le 14 février 2020, La cour d’appel de Rennes condamne la banque à payer à sa cliente une indemnité égale au montant de ce qu’elle demeurait lui devoir en exécution du prêt qu’elle lui avait consenti et ordonné la compensation entre leurs obligations respectives.
Suivant les juges d'appel, la valeur du bien acquis ne devait pas entrer dans l'assiette du calcul de la capacité financière de l'emprunteur, car le financement était destiné à permettre à l'emprunteur d'acquérir sa maison d'habitation et non d'effectuer un investissement fiscal :
"[...] il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à Mme Y d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation. C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que le Crédit agricole avait commis une faute en méconnaissant son devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur dont il n'est pas contesté qu'il était non averti."
Un pourvoi en cassation est alors formé par la banque.
V. POSITION DE LA COUR DE CASSATION
La Cour de cassation ne partage pas l'avis des juridictions du fond et casse l'arrêt d'appel au motif qu'il fallait prendre en compte « la valeur du bien immobilier financé par l’emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat » pour calculer l'état de capacité de remboursement de l'emprunteur.
Autrement dit, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, il convient de prendre en considération ses revenus et ses biens, en ce compris la valeur nette du bien immobilier à acquérir.
En résumé, une demande de crédit immobilier ne doit pas être effectuée à la légère par les emprunteurs. Un crédit doit pouvoir se rembourser au moyen des revenus de l’emprunteur, mais aussi de la valeur vénale du bien acquis, ce qui constitue un filet de sécurité supplémentaire pour les banques.
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Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS
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